Page:Shakespeare, apocryphes - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1866, tome 2.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
LES APOCRYPHES.

de faucon, à l’œil cave, avec d’énormes rides sur un front torve, et de longs cheveux crépus sur les épaules ; son menton est ras, mais à la lèvre supérieure il a une moustache qu’il enroule autour de son oreille. Pour costume, un pourpoint de satin bleu clair si déguenillé que l’envers a encore meilleure apparence que l’endroit, des hauts-de-chausse râpés et décousus, de gros bas de laine retombant déchirés sur ses souliers ; enfin, un manteau de livrée, dégarni de tout galon, mauvais, mais assez bon encore pour cacher de l’argenterie. » La figure de Blackwill est une des plus originales qui soient au théâtre anglais. Ce truand qui escamote même les constables, ce ribaud avec qui les filles de joie sont obligées de s’arranger pour ouvrir boutique ; ce terrible buveur à qui les cabaretiers doivent chaque matin offrir une chopine de bière, sous peine d’avoir, le soir, leur enseigne arrachée, ce soldat-larron qui a quitté la guerre pour le brigandage et qui de maraudeur s’est fait coupe-jarrets, pourrait aisément s’enrôler, à la suite de Bardolphe, dans l’arrière-garde de Falstaff. Ce Blackwill, qui fait rire autant qu’il fait peur, est un type que le créateur du drame pouvait seul enfanter. C’est le grotesque sinistre.

Le génie shakespearien, si visible déjà dans cette création, se laisse également deviner dans les scènes finales d’Arden de Feversham. Dans le banquet où s’asseyent les assassins de maître Arden, il y a quelque chose de cette horreur sublime qui préside au festin de Macbeth, comme ; dans le touchant repentir que manifeste Alice Arden après l’assassinat de son mari, il y a le germe de ces pathétiques remords qui doivent supplicier la mère d’Hamlet.

Arden de Feversham, conçu, comme Périclès, par la jeune imagination d’un grand poëte, affirme, comme Périclès, l’intervention d’en haut dans les choses terrestres. Ici règne cette même force occulte et surhumaine qui, là, pro-