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LES APOCRYPHES.

qui n’est connu des érudits que pour avoir mis au jour, en 1596, un recueil de cinquante sonnets, sous ce titre peu original : Chloris, ou la complainte du berger délaissé ? C’est ce que Steevens n’explique pas.

Tieck a sur Locrine une théorie tout à fait différente. Suivant le critique allemand, les initiales W. S. désigneraient, non pas ce faiseur de sonnets quelconque qu’on appelle William Smith, mais bien l’illustre auteur d’Hamlet, William Shakespeare en personne ; et non-seulement William Shakespeare serait le correcteur de Locrine, mais il en serait l’auteur original. Selon Tieck, Locrine, le plus ancien drame de Shakespeare, aurait été composé tout d’abord par le jeune maître peu de temps avant l’exécution de Marie-Stuart, « à une époque où l’on redoutait à la fois une conspiration au dedans du pays et une invasion du dehors, » puis repris en sous-œuvre et remanié, toujours par notre poëte, vers 1595, « alors qu’on craignait le retour d’une seconde Armada. » Cette théorie singulière est difficilement conciliable avec les documents que nous avons. Le titre de l’édition de 1595 déclare formellement que William Shakespeare, (si c’est bien William Shakespeare que désignent les majuscules W. S.), s’est borné à réviser et à corriger Locrine, et donne à entendre clairement par là que Locrine est la conception primitive d’un autre écrivain. D’ailleurs, ce que le titre affirme, l’examen de l’œuvre le prouve hautement.

Rien n’est plus opposé à la manière et au génie de Shakespeare que la composition de Locrine. Les personnages, qui figurent dans cette tragédie s’expriment tous dans cette langue outrée et pédantesque que Shakespeare a si justement raillée dans Hamlet, dans Peines d’Amours perdues et dans Henry IV. Ce vers blanc monotone, bourré de réminiscences mythologiques, assaisonné de citations classiques, est le même que déclament, dans leurs tirades gro-