Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/159

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plète de la bourse de son mari. Elle a des légions d’anges[1] à ses ordres.

PISTOLET. Ayez aux vôtres un nombre égal de démons, et donnez-lui la chasse.

NYM. Voilà qui va bien ; c’est bon : menez-moi les anges bon train.

FALSTAFF. Je lui ai écrit une lettre que voici ; et en voilà une autre pour madame Page, qui me fait pareillement les yeux doux, et que j’ai surprise promenant sur mes dehors un judicieux regard. Les rayons de ses yeux ont doré parfois mon pied, parfois mon ventre majestueux.

PISTOLET. Alors c’est le soleil brillant sur du fumier.

NYM. Je te remercie de ce mot-là.

FALSTAFF. Elle parcourt toute ma personne avec des regards si pleins de convoitise, que l’appétit de ses yeux me brûle comme un verre ardent ! Cette lettre-ci lui est destinée : c’est elle aussi qui tient les cordons de la bourse : elle sera pour moi une Guinée véritable, une Côte-d’Or et d’Abondance. Je tirerai à vue sur l’une et sur l’autre : elles seront mes banquiers, mes Indes orientales et occidentales, et je commercerai avec toutes deux. (À Pistolet.) Toi, porte cette lettre à madame Page. (À Nym.) Et toi, porte celle-ci à madame Ford. Nous prospérerons, mes enfants, nous prospérerons.

PISTOLET. Moi, avec une épée au côté, je jouerais le rôle de Pandarus le Troyen ! Non, certes ; que Lucifer emporte le tout !

NYM. Je ne ferai point de bassesse : voilà votre lettre ; je veux garder ma réputation.

FALSTAFF, reprenant les lettres. Donnez, drôles ! (À Robin.) Toi, va porter ces lettres adroitement. Sers-moi de chaloupe, et cingle vers ces rivages d’or. (À Pistolet et à Nym.) Hors d’ici, vauriens ! dissolvez-vous comme de la grêle ; filez, détalez, haut le pied ; allez dans votre chenil, canaille. Falstaff apprendra à imiter son siècle, à vivre d’expédients. Coquins, laissez-moi seul avec mon page galonné.

Falstaff et Robin sortent.

PISTOLET. Que les vautours te déchirent les boyaux ! Il y a encore des dés pipés au monde pour duper riches et pauvres.

  1. Angélus, ancienne monnaie d’or, valant dix shillings ou douze francs cinquante centimes.