Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/21

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NOTICE SUR SHAKSPEARE. xj d’observer la nature dans ses moindres détails, et de la peindre avec une inimitable fidélité ; pour cette philosophie douce et bienveillante qui anime toutes ses compositions, et fait aimer leur auteur. Il est plus poëte qu’aucun de ces trois hommes ; il a porté plus loin qu’aucun d’eux les qualités qui les distinguent, et il en possède d’autres qui leur sont étrangères. Po&te comique, sa verve de gaieté est spontanée, vive, intarissable ; poëte tragique, il a tendu plus énergiquement qu’aucun de ses rivaux ces deux grands ressorts de l’âme humaine, la pitié et la terreur. Mais il n’a pas borné là sa carrière ; il a porté bien au de la ses explorations hardies ; il a reculé les domaines de la muse dramatique ; il s’est aventuré dans de nouveaux et délicieux parages où nul ne l’a suivi, où nul ne le suivra peut-être. Les autres poëtes ne nous présentent qu’un côté de l’existence humaine ; dans Shakspeare on la voit sous toutes ses faces ; il évoque tour à tour devant nous toutes les conditions, tous les âges, toutes les infortunes, et toutes les joies. Il nous promène de surprise en surprise, d’enchantement en enchantement. On dirait qu’il a voulu se peindre dans le personnage de Prospéro, du drame de la Tempête. Comme lui, il lient une baguette magique qui soulève et calme tour à tour les orages, qui lui asservit les intelligences, qui commande à la nature entière, et même au monde des esprits. Shakspeare est le plus grand peintre des temps anciens et modernes. Quelques-unes de ses compositions sont, parleur grâce angélique, leur beauté céleste, dignes de Raphaël et de l’Albane. Corneille a écrit pour les grandes âmes ; Racine pour les âmes tendres ; tous deux ne peuventêtre goûtés que par les esprits d’élite, les hautes intelligences. La Fontaine, Molière et Shakspeare ont écrit pour tous les membres de la grande famille humaine. Chacun d’eux peut s’appliquer ces paroles de Térence : Homo siim, et nihil humani a me alienum. jfuto. L’homme mûr les goûte, l’enfance les comprend et les aime. Ce sont trois poëtes universels. Leurs œuvres, si on en excepte Homère et la Bible, sont celles qui vivront le plus longtemps dans la mémoire des hommes. De pareilles œuvres sont le désespoir et l’écueil des traducteurs.