Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

X NOTICE SUR SHAKSPEARE. table saignée à blanc qui d’un corps plein de Me fait un cadavre. Shakspeare appartient à la Renaissance par la date de son existence, et au moyen âge par la nature de son talent. Le moyen âge avait régné pendant dii siècles sur les ruines de l’antiquité, sur les débris du cadavre romain. La Renaissance fut une immense réaction de la raison humaine contre la barbarie, de l’art grec et romain contre l’art gothique. Shakspeare entra dans la carrière alors que le moyen âge était vaincu ; réunissant dans un foyer brûlant les rayons ëpars de ce soleil brisé, il fut le dernier effort du moyen âge expirant ; il coordonna ce qu’il avait de naïve énergie, de poétique beauté ; il rassembla tous ces éléments épars ; il les souda habilement ; il en forma son drame. 11 refusa de jeter ses magnifiques créations dans le moule grec ou romain ; son génie aurait étouffé dans ce cadre restreint ; il lui fallait un horizon plus vaste ; toute sa carrière fut une énergique et glorieuse lutté contre le courant qui entraînait la littérature contemporaine vers les modèles de l’antiquité ; il protesta contre cette tendance servile. Il mourut ; le mouvement imprimé par lui se continua quelque temps encore ; puis la réaction s’arrêta ; Malherbe et Corneille bâtirent et consolidèrent l’édiQce classique, dont Boileau et Racine harmonisèrent les proportions, et qu’ils décorèrent en épuisant toutes les ressources d’un travail savant et achevé. Le mérite dramatique de Shakspeare est aujourd’hui incontesté ; son mérite littéraire n’est guère apprécié que dans sa patrie. Comment en effet faire passer dans une traduction des beautés nationales, et pour ainsi dire locales ? comment transporter d’un sol dans un autre ces plantes exotiques ? comment conserver à cette poésie pittoresque et vigoureuse son allure indépendante, sa grâce native ? c’est la rose qu’on ne saurait séparer de sa tige épineuse sans lui faire perdre de son parfum. Shakspeare est tour à tour Corneille, Molière et la Fontaine. Il est Corneille dans ses grandes peintures historiques, comme dans Coriolan et Jules César. Il est Molièredans ses comédies et dans quelquesuns de ses drames, par exemple dans Richard III, cette admirable peinture de Tartufe roi. Il a comme Molière créé des types comiques, immortels ; tel est son Falstaff. Il est la Fontaine pour le talent