l’apprivoise, je ne le vendrai pas pour peu de chose : il indemnisera son propriétaire, et amplement encore.
Tu ne me fais pas encore grand mal ; mais tu m’en feras tout à l’heure ; je le devine à ton tremblement. Maintenant Prospéro agit sur toi.
Allons, viens ; ouvre la bouche : voilà qui va te délier la langue, mon chaton ; ouvre la bouche : voilà qui va guérir ton frisson, et radicalement encore, je t’en donne ma parole : tu ne connais pas l’ami qui te soulage ; ouvre encore les mâchoires.
Je crois reconnaître cette voix : ce doit être,.. mais il est noyé ; et ce sont des diables que je vois. Ô ciel ! venez-moi en aide !
Quatre jambes et deux voix ; voilà, ma foi, un monstre des plus mignons ! Sa voix de devant lui sert à dire du bien de ses amis ; sa voix de derrière à articuler de vilaines paroles et à dire du mal. Quand tout le vin de ma gourde devrait y passer, je le guérirai et lui ôterai sa fièvre : assez de ce côté-ci ! je vais donner à boire à ton autre bouche.
Stéphano !
Ton autre bouche m’appelle ? Merci de ma vie ! C’est un diable et non un monstre : je n’ai pas une longue cuillère, moi[1].
Stéphano ! Si tu es Stéphano, touche-moi et parle-moi ; n’aie pas peur : je suis Trinculo, ton bon ami Trinculo.
Si tu es Trinculo, sors de là-dessous ; je vais te tirer par tes jambes les moins grosses ; si parmi ces jambes il en est qui appartiennent à Trinculo, ce doivent être celles-ci. En effet, tu es Trinculo en personne. Comment t’est-il arrivé de servir de siège à ce veau marin ? Mettrait-il par hasard au monde des Trinculos ?
Je l’avais cru tué d’un coup de tonnerre. Mais tu n’es donc pas noyé, Stéphano ? J’espère bien maintenant que tu n’es pas noyé. L’orage est-il passé ? Dans ma peur, je me suis abrité sous la capote de ce monstre, que je croyais mort. Est-il bien vrai que tu sois vivant, Stéphano ? ô Stéphano, deux Napolitains de réchappés !
- ↑ Allusion au proverbe : « Il faut une longue cuillère pour manger avec le diable. »