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LA TEMPÊTE.

mens, tournez en mal le bien qui m’est destiné ! Plus que tout au monde je vous aime, je vous estime, je vous honore.

MIRANDA.

Que je suis folle de pleurer de ce qui me fait plaisir !

PROSPÉRO, à part.

Rencontre charmante des deux affections les plus rares ! Que le ciel répande la rosée de ses grâces sur le sentiment qui germe entre eux !

FERDINAND.

Pourquoi pleurez-vous ?

MIRANDA.

Je pleure mon indigne faiblesse, qui n’ose offrir ce que je désire donner, et moins encore accepter ce dont la privation me ferait mourir ; mais c’est un enfantillage. Plus mes sentiments cherchent à se cacher, plus ils se montrent à découvert. Loin de moi donc, dissimulation timide ; dicte mon langage, naïve et sainte innocence ! Je suis votre femme si vous voulez m’épouser ; sinon je mourrai fille pour l’amour de vous. Vous pouvez me refuser pour compagne ; mais, que vous le vouliez ou non, je serai votre servante.

FERDINAND.

Et moi, ma souverahie adorée, je veux être pour toujours votre humble esclave comme à présent.

MIRANDA.

C’est-à-dire mon époux ?

FERDINAND.

Oui, et avec tout l’ardent empressement de l’esclave pour la liberté. Voilà ma main.

MIRANDA.

Et voici la mienne, et mon cœur avec elle : et maintenant adieu pour une demi-heure.

FERDINAND.

Pour un siècle !

Ferdinand et Miranda sortent.
PROSPÉRO.

Je ne puis être aussi ravi qu’ils le sont, eux pour qui tout est nouveau encore ; mais ma satisfaction ne saurait être plus grande. Je vais retourner à mon livre ; car, avant l’heure du souper, il me reste à terminer beaucoup de besogne importante.

Il sort.


Entrent STÉPHANO et TRINCULO, suivis de CALIBAN, qui tient à la main une bouteille.


STÉPHANO.

Ne m’en parle plus ; quand la futaille sera vide, nous boirons de l’eau ; jusque-là pas une goutte : ainsi porte le cap sur l’ennemi et aborde. Serviteur monstre, bois à ma santé.

TRINCULO.

Serviteur monstre ? la folie de cette île ! on dit que nous ne sommes que cinq dans cette île : en voilà trois ; si