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ACTE I, SCÈNE II.

Si tu y prends goût, tu n’as qu’à me donner un second démenti.

TRINCULO.

Je n’ai point donné de démenti. Tu as donc perdu l’esprit et l’ouïe tout ensemble ? Maudite bouteille ! voilà ce que c’est que de boire. Que la peste étouffe ce monstre, et que le diable emporte tes doigts !

CALIBAN., riant.

Ha ! ha ! ha !

STÉPHANO., à Caliban.

Maintenant, continue ton histoire. (À Trinculo.) Toi, tiens-toi à distance.

CALIBAN.

Bats-le encore ; bientôt je le battrai moi-même.

STÉPHANO., à Trinculo.

Écarte-toi. (À Caliban.) Allons, poursuis.

CALIBAN.

Comme je te l’ai dit, il a coutume de faire un somme dans l’après-midi : c’est alors qu’après t’être emparé de ses livres, tu pourras lui faire sauter la cervelle, lui briser le crâne avec une bûche, ou l’éventrer avec un pieu, ou lui couper la trachée artère avec ton couteau. Surtout n’oublie pas de commencer par t’emparer de ses livres ; car, sans eux, il n’est qu’un sot tout comme moi, et pas un génie ne lui obéirait ; ils le détestent tous aussi cordialement que moi. Brûle seulement ses livres. Il a aussi d’excellents ustensiles (c’est ainsi qu’il les nomme) propres à orner sa maison quand il en aura une ; mais le point le plus important, c’est la beauté de sa fille ; lui-même il l’appelle incomparable : je n’ai jamais vu d’autres femmes que ma mère Sycorax et elle ; mais elle remporte autant sur Sycorax que ce qu’il y a de plus grand surpasse ce qu’il y a de plus petit.

STÉPHANO.

C’est donc une bien belle fille ?

CALIBAN.

Oui, mon seigneur ; je t’assure qu’eïe est digne de ta couche et te donnera une superbe lignée.

STÉPHANO.

Monstre, je tuerai cet homme ; je serai roi et sa fille reine. Dieu protège nos majestés ! Trinculo et toi vous serez mes vice-rois ; qu’en dis-tu Trinculo ?

TRINCULO.

Excellent !

STÉPHANO.

Donne-moi la main ; je suis fâché de t’avoir battu : mais, à l’avenir, sache retenir ta langue.

CALIBAN.

Dans une demi-heure il sera endormi ; veux-tu alors l’exterminer ?

STÉPHANO.

Oui, sur mon honneur.

ARIEL., à part.

Je vais rapporter cela à mon maître.