ANTIPHOLUS DE SYRACUSE. Allons, drôle, trêve de pasquinades ! qu’as-tu fait du dépôt dont je t’ai chargé ?
DROMIO D’ÉPHÈSE. On ne m’a chargé que d’une chose, c’est d’aller vous chercher à la Bourse, et de vous ramener dîner chez vous, au Phénix, où ma maîtresse et votre sœur vous attendent.
ANTIPHOLUS DE SYRACUSE. Réponds-moi, et dis-moi en quel lieu sûr tu as déposé mon argent, ou, aussi vrai que je suis chrétien, je te briserai les côtes pour t’apprendre à plaisanter avec moi quand je n’en ai nullement l’envie. Où sont les mille marcs que tu as reçus de moi ?
DROMIO D’ÉPHÈSE. J’ai quelques-unes de vos marques sur ma caboche, quelques-unes de ma maîtresse sur mes épaules ; mais les unes et les autres réunies ne vont pas à mille. — Si je vous les restituais, peut-être ne les endureriez-vous point patiemment.
ANTIPHOLUS DE SYRACUSE. Les marques de ta maîtresse ! De quelle maîtresse veux-tu parler, pendard ?
DROMIO D’ÉPHÈSE. Mais de votre femme, de ma maîtresse, qui loge au Phénix, qui jeûne en attendant que vous veniez dîner, et qui vous prie de venir sur-le-champ.
ANTIPHOLUS DE SYRACUSE. Encore ! malgré ma défense, tu continues à me narguer en face. Tiens ! prends ceci, maraud !
DROMIO D’ÉPHÈSE. Que prétendez-vous donc, seigneur ? Au nom du ciel, retenez vos mains, sinon je vais recourir à mes jambes.
ANTIPHOLUS, seul. Sur ma vie, ce coquin se sera laissé escamoter tout mon argent par quelque escroc. On dit que cette ville est pleine de fripons, d’agiles escamoteurs qui trompent les yeux, de nécromans pervers qui changent l’esprit, de sorcières qui tuent l’âme et déforment le corps, d’imposteurs déguisés, de charlatans hâbleurs, et autres pécheurs de même calibre : si cela est, je ne resterai pas long-temps ici ; je vais au Centaure chercher mon imbécile ; je crois que mon argent court de grands risques.