Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu/159

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exposé mon
honneur à trop bon marché. Il y a quelque chose en moi qui me reproche
ma faute ; mais ma faute est si entêtée et si opiniâtre qu’elle se rit
des reproches.

VIOLA.--Les chagrins de mon maître tiennent la même conduite que votre
passion.

OLIVIA.--Tenez, portez ce bijou pour l’amour de moi ; c’est mon portrait :
ne refusez pas ; il n’a point de langue qui puisse vous être importune,
et je vous en conjure, revenez demain. Que pourrez-vous me demander que
je vous refuse, de ce que l’honneur peut, sans se compromettre, accorder
à une demande ?

VIOLA.--Rien autre chose que cette grâce : votre amour sincère pour mon
maître.

OLIVIA.--Comment puis-je, avec honneur, lui donner ce que je vous ai
donné ?

VIOLA.--Je vous tiendrai quitte.

OLIVIA.--Allons, revenez demain ; adieu : un démon qui te ressemblerait
pourrait conduire mon âme en enfer !

(Elle sort.)

(Rentrent Sir Tobie Belch et Fabian.)

SIR TOBIE.--Mon gentilhomme, Dieu te garde !

VIOLA.--Et vous aussi, monsieur !

SIR TOBIE.--Recours à tous les moyens que tu as de te défendre. De
quelle nature sont les insultes que tu lui as faites, c’est ce que
j’ignore : mais ton ennemi en embuscade, plein de courroux, avide de sang
comme un chasseur, t’attend au bout du verger. Dégaine ta courte épée,
sois leste à te mettre en garde ; car ton assaillant est vif, habile, et
poussé par une haine mortelle.

VIOLA.--Vous vous méprenez, monsieur. Je suis certain que nul homme au
monde n’est en querelle avec moi : ma mémoire est bien nette et ne me
retrace pas la moindre idée d’une offense quelconque faite à qui que ce
soit.

SIR TOBIE.--Vous verrez le contraire, je vous assure : ainsi, si vous
attachez quelque prix à votre vie, songez à vous bien mettre en garde ;
car votre adversaire a pour lui tous les avantages que peuvent donner la
jeunesse, la vigueur, l’art et la f