Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu/158

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--Si cette lettre n’est pas capable de le mouvoir, ses jambes ne le
pourront pas davantage. Je veux la lui remettre.

MARIE.--Vous avez une belle occasion pour cela : il a maintenant un
entretien avec madame et il va partir prochainement.

SIR TOBIE.--Allons, sir André ; attends-le au coin du verger, en vrai
prévôt : du plus loin que tu l’apercevras, dégaine ; et en tirant ton
épée, jure à faire peur, car il arrive souvent qu’un effroyable serment,
prononcé d’un accent insultant et d’une voix foudroyante, vaut plus
d’applaudissements au courage que ne lui en auraient gagné les preuves
mêmes. Allons, pars.

SIR ANDRÉ.--Oh ! laissez-moi le soin de jurer comme il faut.

(Il sort.)

SIR TOBIE.--Maintenant… je ne lui donnerai pas la lettre ; car les
manières du jeune gentilhomme me prouvent qu’il est intelligent et bien
élevé : la négociation où il est employé entre son maître et ma nièce
le confirme ; en conséquence cette lettre, chef-d’œuvre d’ignorance,
n’inspirerait aucune terreur au jeune homme, et il s’apercevrait
aisément qu’elle vient d’un butor. Mais, voyez-vous, je lui rendrai le
défi de bouche ; je vanterai sir André pour avoir la réputation d’un
brave ; et j’inspirerai au jeune homme (que son âge rendra crédule, je le
sais) la plus formidable idée de sa fureur, de sa science, de sa rage,
et de son impétuosité. Et cela les épouvantera si fort tous deux, qu’ils
se tueront mutuellement de leur regard, comme des basilics.

FABIAN.--Le voici qui vient avec votre nièce ; laissez-les ensemble,
jusqu’à ce qu’il prenne congé d’elle, et alors suivez-le.

SIR TOBIE.--Je vais en attendant méditer quelque terrible message pour
rendre un défi.

(Ils sortent.)

(Entrent Olivia et Viola.)

OLIVIA.--J’en ai trop dit à un cœur de pierre, et j’ai