Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu/179

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s le cœur de le faire,
comme le ravisseur égyptien[67] sur le point de mourir, et ne tuerais-je
pas ce que j’aime ? C’est une jalousie sauvage, mais qui parfois annonce
de la noblesse.--Écoutez ce que je vais vous dire : puisque vous rebutez
ma foi avec dédain, et que je connais en partie l’instrument qui me
chasse de ma véritable place dans votre faveur, vivez tranquille, tyran
au cœur de marbre : mais celui-ci, votre favori, que je sais que vous
aimez, et que, j’en jure par le ciel, je chéris moi-même tendrement,
je l’arracherai de ces yeux cruels, où il est assis couronné du dédain
qu’on montre à son maître.--Venez, jeune homme, suivez-moi : mon cœur
est mûr pour la vengeance, je vais immoler l’agneau que j’aime, et
déchirer un cœur de corbeau dans le sein d’une colombe.

[Note 67 : Théagène et Chariclée tombèrent entre les mains de Thyamis de
Memphis, chef d’une bande de voleurs, qui devint amoureux de Chariclée.
Peu après, une autre troupe fondit sur celle de Thyamis, qui, craignant
pour sa maîtresse, l’enferma dans une caverne, avec son trésor. La
coutume de ces barbares était de tuer en même temps qu’eux tous ceux
qui leur étaient chers, afin de les avoir avec eux dans l’autre monde.
Thyamis se trouvant entouré d’ennemis, court à sa caverne et appelle
à haute voix, en langue égyptienne ; il entend répondre en grec, et,
suivant la direction de la voix, il saisit par les cheveux la première
personne qu’il rencontre dans les ténèbres, et, supposant qu’elle est
Chariclée, il lui plonge son épée dans le sein. (HÉRODOTE.)]

(Il fait quelques pas pour s’en aller.)

VIOLA.--Et moi, je subirais volontiers mille morts joyeusement et avec
plaisir pour vous rendre le repos.

(Elle va pour suivre le duc.)

OLIVIA.--Où va Césario ?

VIOLA.--Sur les pas de celui que j’aime plus que mes yeux, plus que ma
vie, et mille fois plus que je n’aimerai jamais ma femme. Si je mens, ô
vous, témoins célestes, punissez sur ma vie mes fautes contre l’amour.

OLIVIA.--Hélas ! malheureuse que je suis, comme je suis trompée !

VIOLA.--Qui vous trompe ? qui vous outrage ?