Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le poète. — Agréez mon travail, et que votre Seigneurie vive longtemps !

timon. — Je vous remercie ; vous aurez bientôt de mes nouvelles ; ne vous écartez point. (Au peintre.) Qu’avez-vous là, mon ami ?

le peintre. — Un morceau de peinture, que je conjure votre Seigneurie d’accepter.

timon. — La peinture me plaît : la peinture est presque l’homme au naturel car depuis que le déshonneur trafique des sentiments naturels, l’homme n’est qu’un visage, tandis que les figures que trace le pinceau sont du moins tout ce qu’elles paraissent… J’aime votre ouvrage, et vous en aurez bientôt la preuve ; attendez ici jusqu’à ce que je vous fasse avertir.

le peintre. — Que les dieux vous conservent !

timon. — Portez-vous bien, messieurs donnez-moi la main il faut absolument que nous dînions ensemble. — Monsieur, votre bijou a souffert d’être trop estimé.

le joaillier. — Comment, seigneur, on l’a déprécié ?

timon. — On a seulement abusé des louanges. Si je vous le payais ce qu’on l’estime, je serais tout à fait ruiné.

le joaillier. — Seigneur, il est estimé le prix qu’en donneraient ceux mêmes qui le vendent. Mais vous savez que des choses de valeur égale changent de prix dans les mains du propriétaire, et sont estimées en raison de la valeur du maître. Croyez-moi, mon cher seigneur, vous embellissez le bijou en le portant.

timon. — Bonne plaisanterie !

le marchand. — Non, seigneur ; ce qu’il dit là, tout le monde le répète avec lui.

timon. — Voyez qui vient ici. Voulez-vous être grondés ?

(Entre Apémantus.)

le joaillier. — Nous le supporterons, avec votre Seigneurie.

le marchand. — Il n’épargnera personne.

timon. — Bonjour, gracieux Apémantus.

apémantus. — Attends que je sois gracieux pour que je te rende le bonjour, quand tu seras devenu le chien de Timon, et ces fripons d’honnêtes gens.