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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu/24

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qui en ce moment est assis près de son hôte, qui rompt avec lui son pain et boit à sa santé la coupe qu’ils ont partagée ensemble, sera le premier à l’assassiner. Cela est prouvé. Si j’étais un grand personnage, je craindrais de boire à mes repas, de peur que mes hôtes n’épiassent à quelle note ils pourraient me couper le sifflet. Les grands seigneurs ne devraient jamais boire sans avoir le gosier revêtu de fer.

TIMON, à un des convives. — Seigneur, de tout mon cœur, et que les santés fassent la ronde.

PREMIER SEIGNEUR. — Qu’on verse de ce côté, mon bon seigneur.

APÉMANTUS. — De son côté ! Fort bien voilà un brave. Il sait prendre à propos son moment. — Toutes ces santés, Timon, te rendront malade, toi et ta fortune. Voilà qui est trop faible pour être coupable, l’honnête eau qui n’a jamais jeté personne dans la boue ; cette liqueur et mes aliments se ressemblent, et sont toujours d’accord ; les festins sont trop orgueilleux pour rendre grâces aux dieux.

Actions de grâces d’Apémantus.

Dieux immortels, je ne vous demande point de richesses,
Je ne prie pour aucun homme que pour moi ;
Accordez-moi de ne jamais devenir assez insensé
Pour me fier à un homme sur son serment ou sur son billet,
À une courtisane sur ses larmes,
À un chien qui paraît endormi,
À un geôlier pour ma liberté,
Ni à mes amis dans mon besoin :
Amen : allons, courage !
Le crime est pour le riche et je vis de racines.

Ton meilleur plat c’est ton bon cœur, Apémantus.

TIMON. — Général Alcibiade, votre cœur en ce moment est sur le champ de bataille.

ALCIBIADE. — Mon cœur, seigneur, est toujours prêt à vous servir.

TIMON. — Vous aimeriez mieux un déjeuner d’ennemis qu’un diner d’amis.