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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu/38

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FLAVIUS. Dieux ! disais-je, quelle bonté dans le seigneur Timon ! Que de biens prodigués des esclaves et des rustres ont engloutis cette nuit ! Qui n’appartient à Timon ? Qui n’offre pas son cœur, sa vie, son épée, son courage, sa bourse à Timon, « au grand Timon, au noble, au digne, au royal Timon ? » Hélas ! quand la fortune dont il achète ces louanges sera dissipée, le souffle qui les produit sera éteint ; ce qu’on a gagné au festin on le perd dans le jeûne[1]. Un nuage d’hiver verse ses ondées, et tous les insectes ont disparu.

TIMON.—Allons, ne me sermonne plus. — Nul bienfait honteux n’a déshonoré mon cœur. J’ai donné imprudemment, mais sans ignominie. Pourquoi pleures-tu ? Manques-tu de confiance au point de croire que je puisse manquer d’amis ? Que ton cœur se rassure ; va, si je voulais ouvrir les réservoirs de mon amitié, et éprouver les cœurs en empruntant, je pourrais user des hommes et de leurs fortunes aussi facilement que je puis t’ordonner de parler.

FLAVIUS. Puisse l’événement ne pas tromper votre attente !

TIMON. Et ce besoin où je me trouve aujourd’hui est en quelque sorte pour moi un bonheur qui couronne mes vœux. Je puis maintenant éprouver mes amis ; tu connaîtras bientôt combien tu t’es mépris sur l’état de ma fortune ; je suis riche en amis. Holà ! quelqu’un ! Flaminius ! Servilius !

(Entrent Servilius, Flaminius et d’autres esclaves.)

UN ESCLAVE.—Seigneur ? seigneur ?

TIMON.—J’ai différents ordres à vous distribuer. Toi. va chez le seigneur Lucius, et toi, chez Lucullus. J’ai chassé aujourd’hui avec son Honneur. — Toi, va chez Sempronius. Recommandez-moi à leur amitié, et dites que je suis fier de trouver l’occasion d’employer leurs services pour me fournir de l’argent : demandez-leur cinquante talents.

  1. Proverbe anglais : feast-won, fast-lost : gagné au festin, perdu au jeûne.