Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/124

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Albanie. – Que les dieux la défendent ! — Emportez-le à quelque distance.

On emporte Edmond. Entrent Lear, tenant Cordélia morte dans ses bras, Edgar, l’officier et d’autres.

Lear. – Hurlez, hurlez, hurlez, hurlez ! Oh ! vous êtes des hommes de pierre. Si j’avais vos voix et vos yeux, je m’en servirais à fendre la voûte du firmament. Oh ! elle est partie pour jamais – Je vois bien si quelqu’un est vivant ou s’il est mort – Elle est morte comme la terre – Prêtez-moi un miroir : si son haleine en obscurcit ou en ternit la surface, alors elle vivrait encore.

Kent. – Est-ce donc la fin du monde ?

Edgar. – Ou l’image de l’abomination de la désolation ?

Albanie. – Que tout tombe et s’arrête !

Lear. – La plume remue : elle vit – Oh ! si elle vit, c’est un bonheur qui rachète tous les chagrins que j’aie jamais sentis.

Kent, se mettant à genoux – O mon bon maître !

Lear. – Laisse-moi, je te prie.

Edgar. – C’est le noble Kent, votre ami.

Lear. – Malédiction sur vous tous, assassins, traîtres que vous êtes. Je l’aurais pu sauver ; maintenant elle est partie pour toujours – Cordélia, Cordélia, attends un moment – Ah ! que dis-tu ? — Sa voix était toujours douce, pure et calme, chose excellente chez une femme – J’ai tué l’esclave qui l’étranglait.

Le gentilhomme. – Cela est vrai, milords, il l’a fait.

Lear. – N’est-ce pas, ami ? — J’ai vu le jour où, avec ma bonne épée tranchante, je les aurais tous fait danser. Je suis vieux à présent, et toutes ces épreuves m’achèvent. A Kent. — Qui êtes-vous ? Mes yeux ne sont pas des meilleurs : je vais vous le dire tout à l’heure.

Kent. – S’il est deux hommes que la fortune se vante d’avoir aimés et haïs, chacun de nous en voit un.

Lear. – Ma vue est bien mauvaise – N’êtes-vous pas Kent ?

Kent. – Lui-même, Kent votre serviteur. Où est votre serviteur Caïus ?