Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/470

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Premier Chevalier : Cédez, seigneur ; car nous ne savons ni dans nos cœurs, ni par nos regards envier les grands ni mépriser les petits.

Périclès : Vous êtes de courtois chevaliers.

Simonide : Asseyez-vous, asseyez-vous, seigneur, asseyez-vous.

Périclès : Par Jupiter, dieu des pensées, je m’étonne que je ne puisse pas manger un morceau sans penser à elle !

Thaisa : Par Junon, reine du mariage, tout ce que je mange est sans goût ; je ne désire que lui pour me nourrir. Certainement, c’est un brave chevalier !

Simonide : Ce n’est qu’un chevalier campagnard : il n’a pas plus fait que les autres ; brisé une lance ou deux. Oubliez cela.

Thaisa : Pour moi, c’est un diamant à côté d’un morceau de cristal.

Périclès : Ce roi est pour moi comme le portrait de mon père, et me rappelle sa gloire. Si des princes s’étaient assis autour de son trône comme des étoiles, il en eût été respecté comme le soleil : nul ne le voyait sans soumettre sa couronne à la suprématie de son astre ; tandis qu’aujourd’hui son fils est un ver luisant dans la nuit, et qui n’aurait plus de lumière dans le jour. Je vois bien que le temps est le roi des hommes ; il est leur père et leur tombeau, et ne leur donne que ce qu’il veut, non ce qu’ils demandent.

Simonide : Quoi donc ! vous êtes contents, chevaliers ?

Premier Chevalier : Pourrait-on être autrement en votre présence royale ?

Simonide : Allons, avec une coupe remplie jusqu’au bord (vous qui aimez, il faut boire à votre maîtresse), nous vous portons cette santé.

Les Chevaliers : Nous remercions Votre Altesse.

Simonide : Arrêtez un instant ; ce chevalier, il me semble, est là tout mélancolique, comme si la fête que nous donnons à notre cour était au-dessous de son mérite. Ne le remarquez-vous pas, Thaïsa ?

Thaisa : Qu’est-ce que cela me fait, mon père ?