Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/490

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Léonin : Et quand cela eut-il lieu ?

Marina : Quand je vins au monde ; jamais les vents ni les vagues ne furent plus violents.

Léonin : Allons, dites promptement vos prières.

Marina : Que voulez-vous dire ?

Léonin : Si vous demandez quelques moments pour prier, je vous les accorde : je vous en prie, mais hâtez-vous, car les dieux ont l’oreille fine, et j’ai juré d’exécuter promptement.

Marina : Quoi ! voulez-vous me tuer ?

Léonin : Pour obéir à ma maîtresse.

Marina : Pourquoi veut-elle ma mort ? Autant que je puis me le rappeler, je jure que je ne l’ai jamais offensée de ma vie ; je n’ai jamais dit un mot méchant ni fait mal à aucune créature vivante. Croyez-moi, je n’ai jamais tué une souris ni blessé une mouche. J’ai marché un jour sur un ver contre ma volonté, mais j’en ai pleuré. Quel est mon crime ? En quoi ma mort peut-elle lui être utile, ou ma vie être dangereuse pour elle ?

Léonin : Ma commission n’est pas de raisonner, mais d’exécuter.

Marina : Vous ne le feriez pas pour tout au monde, je l’espère ; vous avez un visage où respire la douceur, et qui annonce que vous avez un cœur généreux. Je vous vis dernièrement vous faire blesser pour séparer deux hommes qui se battaient : en vérité cela prouvait en votre faveur ; faites encore de même. Votre maîtresse en veut à ma vie : mettez-vous entre nous et sauvez-moi ; je suis la plus faible.

Léonin : J’ai juré de vous immoler.


(Surviennent des pirates pendant que Marina se débat.)

Premier Pirate : Arrête, coquin !

(Léonin s’enfuit.)

Second Pirate : Une prise, une prise !

Troisième Pirate : Chacun sa part, camarades ; partageons. Portons-la à bord sans tarder.

(Les pirates emmènent Marina.)