Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/489

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visage est changé par ce malheur. Venez, venez, donnez-moi votre guirlande de fleurs avant que la mer la flétrisse ; promenez-vous avec Léonin ; l’air est vif ici et aiguise l’appétit. Venez, Léonin, prenez Marina par le bras et promenez-vous avec elle.

Marina : Non, je vous en prie, je ne veux point vous priver de votre serviteur.

Dionysa : Venez, venez, j’aime le roi votre père et vous, comme si je n’étais pas une étrangère pour vous. Nous l’attendons tous les jours ici. Quand il viendra, il trouvera flétrie celle que la renommée vante comme un chef-d’œuvre ; il regrettera un si long voyage, et il nous blâmera, mon époux et moi, d’avoir négligé sa fille. Allez, je vous prie, vous promener et soyez moins triste. Conservez ce teint charmant qui a désolé tant de cœurs de tous les âges. Ne vous inquiétez pas de moi, je retourne seule au palais.

Marina : Eh bien ! j’irai, mais je ne m’en soucie guère.

Dionysa : Venez, venez, je sais que cela vous sera salutaire : promenez-vous une demi-heure au moins. Léonin, souviens-toi de ce que j’ai dit.

Léonin : Je vous le promets, madame.

Dionysa : Je vous laisse pour un moment, ma chère Marina : promenez-vous doucement, ne vous échauffez pas le sang. Je dois avoir soin de vous.

Marina : Je vous remercie ; ma chère dame. (Dionysa sort.) Est-ce le vent d’ouest qui souffle ?

Léonin : C’est le sud-ouest.

Marina : Quand je naquis, le vent était au nord.

Léonin : Était-ce le nord ?

Marina : Mon père, comme disait ma nourrice, ne montrait aucune crainte, mais il criait : Bons matelots ! et déchirait ses mains royales en maniant les cordages, et en embrassant le mât ; il bravait une mer qui faisait presque éclater le tillac ; elle fit tomber des hunes un matelot monté pour plier les voiles. Eh ! dit un autre, veux-tu sortir ? et ils roulent tous les deux de l’éperon à la poupe, le contre-maître siffle, le pilote appelle et triple leur confusion.