Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et les ours par le cou, les singes par les reins, et les hommes par les jambes : quand un homme a de trop bonnes jambes, on lui met des chausses de bois.

Lear. – Quel est celui qui s’est assez mépris sur la place qui te convient pour te mettre ici ?

Kent. – C’est lui et elle, votre fils et votre fille.

Lear. – Non !

Kent. – Ce sont eux.

Lear. – Non, te dis-je !

Kent. – Je vous dis que oui.

Lear. – Non, non, ils n’en auraient pas été capables !

Kent. – Si vraiment, ils l’ont été.

Lear. – Par Jupiter, je jure que non !

Kent. – Par Junon, je jure que oui !

Lear. – Ils ne l’ont pas osé, ils ne l’ont pas pu, ils n’ont pas voulu le faire – C’est plus qu’un assassinat que de faire au respect un si violent outrage – Explique-moi promptement, mais avec modération, comment, venant de notre part, tu as pu mériter, ou comment ils ont pu t’infliger ce traitement.

Kent. – Seigneur, lorsqu’arrivé chez eux je leur eus remis les lettres de Votre Majesté, je ne m’étais pas encore relevé du lieu où mes genoux fléchis leur avaient témoigné mon respect, lorsqu’est arrivé en toute hâte un courrier suant, fumant, presque hors d’haleine, et qui leur a haleté les salutations de sa maîtresse Gonerille : sans s’embarrasser d’interrompre mon message, il leur a remis des lettres qu’ils ont lues sur-le-champ ; et, sur leur contenu, ils ont appelé leurs gens, sont promptement montés à cheval, m’ont commandé de les suivre et d’attendre qu’ils eussent loisir de me répondre : je n’ai obtenu d’eux que de froids regards. Ici j’ai rencontré l’autre envoyé dont l’arrivée plus agréable avait, je le voyais bien, empoisonné mon message : c’est ce même coquin qui dernièrement s’est montré si insolent envers Votre Altesse. Plus pourvu de courage que de raison, j’ai mis l’épée à la main. Il a alarmé toute la maison par ses lâches et bruyantes clameurs. Votre fils et votre fille ont