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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 7.djvu/196

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armée va sucer le reste de leur courage, et ne laisser d’eux que des squelettes et des cadavres de soldats. Il n’y a pas de quoi employer tous nos bras. A peine reste-t-il dans leurs veines épuisées assez de sang pour teindre d’une marque d’honneur chacune de nos haches ; il faudra que nous les renfermions aussitôt faute de victimes. Le souffle de votre valeur les renversera. Non, n’en doutez pas, mes nobles seigneurs, le superflu de nos valets et nos paysans, peuple inutile qui s’attroupe en tumulte autour de nos escadrons de bataille, suffirait pour purger la plaine de cet ennemi méprisable ; et nous pourrions rester au pied de la montagne, spectateurs oisifs. Mais l’honneur nous le défend. Que dirai-je de plus ? Nous n’avons que peu à faire, et tout sera fini. Ainsi, que les trompettes sonnent la chasse et le signal du combat ; car notre approche doit répandre une si grande terreur sur le champ de bataille, que les Anglais vont se coucher à terre et se rendre.

(Entre Grandpré.)

grandpré. — Pourquoi tardez-vous si longtemps, nobles seigneurs de France ? Là-bas ces cadavres insulaires, presque réduits à leurs os, figurent bien mal, aux clartés du matin, sur un champ de bataille. Leurs enseignes délabrées flottent en déplorables lambeaux, et notre souffle les agite en passant avec mépris. Le farouche Mars semble sans ressource dans leur armée ruinée, et ne jette sur cette plaine qu’un regard indifférent au travers de la visière de son casque rouillé. Leurs cavaliers semblent autant de candélabres immobiles[1] qui portent leurs torches ; et leurs pauvres montures, dont les flancs et la peau sont pendants, laissent tomber la tête ; elles ouvrent à demi des yeux pâles et éteints, et la bride, souillée d’herbes remâchées, reste sans mouvement dans leur bouche inanimée : déjà leurs derniers exécuteurs, les funestes corbeaux, volent au-dessus de leurs têtes, impatients d’entendre sonner leur heure. Il n’y a point

  1. Allusion aux anciens candélabres qui représentaient souvent des hommes ou des ange