TOUCHSTONE.—Oh ! tu seras sûrement damné, comme un œuf qui n’est cuit que d’un côté[1].
CORIN.—Pour n’avoir pas été à la cour ? Dites-moi donc votre raison.
TOUCHSTONE.—Eh bien ! si tu n’as jamais été à la cour, tu n’as jamais vu les bonnes manières ; si tu n’as jamais vu les bonnes manières, alors tes manières sont nécessairement mauvaises ; et ce qui est mauvais est péché, et le péché mène à la damnation : tu es dans une situation dangereuse, berger.
CORIN.—Pas du tout, Touchstone : les belles manières de la cour sont aussi ridicules à la campagne que les usages de la campagne sont risibles à la cour. Vous m’avez dit qu’on ne se saluait pas à la cour, mais qu’on se baisait les mains. Cette courtoisie ne serait pas propre, si les courtisans étaient des bergers.
TOUCHSTONE.—Une preuve ; vite, allons, une preuve.
CORIN.—Eh bien ! nous touchons nos brebis à tout instant, et leur toison, vous le savez, est grasse.
TOUCHSTONE.—Eh bien ! les mains de nos courtisans ne suent-elles pas ? et la graisse de mouton n’est-elle pas aussi saine que la sueur de l’homme ? Mauvaise raison, mauvaise raison : une meilleure, allons.
CORIN.—En outre nos mains sont rudes.
TOUCHSTONE.—Eh bien ! vos lèvres ne les sentiront que plus tôt. Encore une mauvaise raison : allons, une autre plus solide.
CORIN.—Et elles sont souvent goudronnées avec les drogues de nos brebis ; et voudriez-vous que nous baisassions du goudron ? Les mains des courtisans sont parfumées de civette.
TOUCHSTONE.—Pauvre esprit ; tu n’es qu’une chair à vers, comparée à un bon morceau de viande. Allons, apprends du sage, et réfléchis ; la civette est d’une plus
- ↑ Johnson dit ne pas comprendre cette réponse.
Steevens cite un proverbe qui dit qu’un fou est celui qui fait le mieux cuire un œuf parce qu’il le tourne toujours ; et Touchstone semble vouloir faire entendre qu’un homme qui n’a pas vécu à la cour n’a qu’une demi-éducation.