Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 4.djvu/361

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LE BERGER.—Je voudrais qu’il n’y eût point d’âge entre dix et vingt-trois ans, ou que la jeunesse dormît tout le reste du temps dans l’intervalle : car on ne fait autre chose dans l’intervalle que donner des enfants aux filles, insulter des vieillards, piller et se battre. Écoutez donc ! Qui pourrait, sinon des cerveaux brûlés de dix-neuf et de vingt-deux ans chasser par le temps qu’il fait ? Ils m’ont fait égarer deux de mes meilleures brebis, et je crains bien que le loup ne les trouve avant leur maître ; si elles sont quelque part, ce doit être sur le bord de la mer, où elles broutent du lierre. Bonne Fortune, si tu voulais… Qu’avons-nous ici ? (Ramassant l’enfant.) Merci de nous, un enfant, un joli petit enfant ! Je m’étonne si c’est un garçon ou une fille ?… Une jolie petite fille, une très-jolie petite fille ; oh ! sûrement c’est quelque escapade ; quoique je n’aie pas étudié dans les livres, cependant je sais lire les traces d’une femme de chambre en aventure. C’est quelque œuvre consommée sur l’escalier, ou sur un coffre, ou derrière la porte. Ceux qui l’ont fait avaient plus chaud que cette pauvre petite malheureuse n’a ici ; je veux la recueillir par pitié ; cependant j’attendrai que mon fils vienne ; il criait il n’y a qu’un moment : holà, ho ! holà !

(Entre le fils du berger.)

LE FILS.—Ho ! ho !

LE BERGER.—Quoi, tu étais si près ? Si tu veux voir une chose dont on parlera encore quand tu seras mort et réduit en poussière, viens ici. Qu’est-ce donc qui te trouble, mon garçon ?

LE FILS.—Ah ! j’ai vu deux choses, sur la mer et sur terre, mais je ne puis dire que ce soit une mer ; car c’est le ciel à l’heure qu’il est, et entre la mer et le firmament, vous ne pourriez pas passer la pointe d’une aiguille.

LE BERGER.—Quoi ! mon garçon, qu’est-ce que c’est ?

LE FILS.—Je voudrais que vous eussiez vu seulement comme elle écume, comme elle fait rage, comme elle creuse ses rivages ; mais ce n’est pas là ce que je veux dire. Oh ! quel pitoyable cri de ces pauvres malheureux ! qu’il était affreux de les voir, et puis de ne plus les voir ;