Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/355

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qui, accablé par le doute et par la terreur glacé, engourdit d’une faiblesse mortelle tous les sens de la déesse ; tels que des soldats qui, voyant leur capitaine se rendre, fuient lâchement et n’osent tenir la campagne.

CL. — C’est ainsi qu’elle s’arrête tremblante, jusqu’à ce que, pour ranimer ses sens abattus, elle leur dise que c’est une terreur sans fondement, et une illusion puérile qui les effraye. Elle leur ordonne de ne plus trembler, elle leur ordonne de ne rien craindre, et au même instant elle aperçoit le sanglier poursuivi.

CLI. — Une écume blanche teinte de rouge comme un mélange de sang et de lait teint sa gueule entr’ouverte à un sang couleur de pourpre : une nouvelle terreur parcourt tout le corps de Vénus et l’emporte comme une folle sans qu’elle sache où elle va ; elle court d’un côté, puis n’ose aller plus avant, et revient sur ses pas pour accuser le sanglier de meurtre.

CLII. — Mille pensées contraires l’entraînent de mille côtés divers ; elle revient dans les sentiers qu’elle a quittés ; sa précipitation se joint à des délais ; semblable à l’homme pris de vin qui, ayant l’air de faire attention à tout, et toujours inattentif, commence toujours et ne termine rien.

CLIII. — Ici elle trouve un limier réfugié dans un buisson, et demande à l’animal fatigué où est son maître ; plus loin elle en trouve un autre qui lèche ses blessures, seul baume souverain contre les plaies envenimées : en voici un autre qui se traîne d’un air chagrin ; elle lui parle, et il lui répond en hurlant.

CLIV. — A peine a-t-il terminé ses discordantes clameurs, qu’un autre chien blessé, à la gueule béante, le poil noir et hérissé, déchire les airs de sa voix plaintive ; un autre, et puis un autre encore, lui répondent en traînant leur noble queue jusqu’à terre et secouant leurs oreilles écorchées en versant leur sang à chaque pas.

CLV. — Voyez ! de même que les pauvres habitants du monde sont effrayés par les apparitions, les signes et les prodiges qu’ils contemplent longtemps d’un œil effaré en leur attribuant de sinistres prophéties, de même Vénus à ces signes funestes, respire avec peine, et puis soupirant, s’indigne contre la Mort.

CLVI. — Tyran horrible, affreux, maigre, décharné, odieux ennemi de l’Amour ! --C’est ainsi qu’elle inspire la mort. Fantôme au sourire sinistre, ver de la terre, que pré-