Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/472

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changer d’objet aux esprits les plus puissants ; hélas, puisque je
craignais la tyrannie du temps, ne pouvais-je pas dire alors :
« Maintenant je vous aime mieux que jamais ? » J’étais certain de
l’incertitude des choses, je couronnais le présent, je doutais du reste.
L’amour est un enfant ; n’aurais-je donc pu le dire, et promettre une

entière croissance à qui croît aujourd’hui ?


Je n’admets point d’obstacles qui puissent entraver le mariage de coeurs

fidèles. Ce n’est pas de l’amour qu’un amour qui change quand il trouve
du changement, ou qui succombe et s’éloigne quand on s’éloigne de lui.
Oh ! non ! c’est un fanal inébranlable qui contemple les tempêtes, sans
jamais se laisser émouvoir par elles ; c’est une étoile pour toutes les
barques errantes ; on ignore sa valeur, bien qu’on puisse mesurer la
hauteur où il se trouve. L’amour n’est pas le jouet du temps, quoiqu’il
frappe de sa faucille recourbée les lèvres et les joues vermeilles ;
l’amour ne change pas avec les heures et les semaines rapides, mais il
dure jusqu’au dernier jour. Si c’est une erreur, et qu’on puisse me le

prouver, je n’ai jamais écrit, et nul homme n’a jamais aimé.


Accusez-moi en disant que j’ai gaspillé tout ce dont j’aurais dû

récompenser votre rare mérite ; que j’ai oublié de faire appel à votre
précieux amour, auquel me rattachent tous les jours tant de liens ; que
j’ai souvent vécu parmi des cœurs inconnus et négligé vos droits si
chèrement achetés ; que j’ai laissé le vent enfler toutes les voiles qui
pouvaient me transporter bien loin de vous. Notez tous mes caprices et
toutes mes erreurs ; accumulez vos reproches fondés sur des preuves
véritables ; regardez-moi d’un œil courroucé, mais ne me tuez pas dans
votre haine qui s’éveille, puisque je dis, pour me défendre, que j’ai

cherché à mettre à l’épreuve la constance et la vertu de votre amour.


Sonnets
CXVIII
De même que pour aiguiser notre appétit, nous approchons de notre palais

des boissons acides ; de même que pour prévenir des maladies encore à
naître, nous sommes malades pour éviter la maladie, quand nous nous
purgeons ; de même, moi