Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/473

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qui étais tout plein de votre inaltérable
douceur, j’ai voulu me nourrir de sauces amères, et las de mon
bien-être, j’ai trouvé une sorte de plaisir à être malade, avant que
cela fût vraiment nécessaire. C’est ainsi que ma politique amoureuse, en
voulant prévenir des maux qui n’existaient pas, a créé des maux
certains, et amené le trouble dans une santé qui, fatiguée du bien,
avait voulu être guérie par le mal. Mais par là j’ai appris, et je tiens
la leçon pour bonne, que les drogues empoisonnent celui qui avait pu se

lasser de vous.


Ah ! combien j’ai bu de boissons faites de larmes de sirènes, distillées

dans des alambics aussi effroyables que l’enfer : j’ai craint en
espérant, et j’ai espéré en craignant, perdant toujours quand je me
croyais près de gagner ! Quelles déplorables erreurs a commises mon
coeur, tandis qu’il se croyait plus heureux qu’il ne l’avait jamais été !
Combien mes yeux ont erré loin de leur sphère, dans la folie de cette
fièvre insensée ! O bénéfice du mal ! je comprends aujourd’hui que ce
qu’il y a de meilleur est rendu meilleur encore par le mal ; et l’amour
détruit, lorsqu’il se relève, devient plus beau, plus fort, plus grand
qu’au premier abord. Je reviens suffisamment châtié, et je gagne à ma

souffrance trois fois plus que je n’ai perdu.


Je suis bien aise aujourd’hui que vous ayez été jadis si froide à mon

égard, et il faut que je me courbe sous le poids de ma faute, en
souvenir du chagrin que je ressentis alors, à moins que mes nerfs ne
soient d’airain ou d’acier martelé. Car si ma froideur vous a autant
fait souffrir que j’ai souffert jadis de la vôtre, vous avez dû passer
votre temps en enfer. Et moi, tyran que je suis, je n’ai pas songé à
peser ce que m’avait autrefois coûté votre crime. Oh ! si votre nuit de
douleur m’avait rappelé combien le vrai chagrin déchire le cœur, et si
je vous avais offert, comme vous me l’offrîtes alors, l’humble onguent
qui guérit les cœurs blessés ! mais votre faute d’autrefois m’est un
gage. La mienne paye la rançon de la vôtre, et la vôtre doit payer ma

rançon.


Il vaut mieux être vil que d’être estimé vil, si, lorsqu’on ne