Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/474

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l’est
pas, on vous reproche de l’être ; le plaisir le plus légitime est
condamné quand il est jugé, non sur notre sentiment, mais sur celui des
autres. Car pourquoi les regards traîtres et faux des autres
viendraient-ils troubler mon sang généreux ? Ou pourquoi y a-t-il, autour
de mes faiblesses, des espions plus faibles encore qu’elles, et qui
trouvent mal ce que je crois bien ? Non, je suis ce que je suis, et ceux
qui mesurent mes fautes me prêtent leurs propres erreurs : je puis être
droit, quoiqu’ils soient eux-mêmes de travers : il ne faut pas envisager
mes actes par leurs méchantes pensées ; à moins qu’ils ne soutiennent ce
mal général, que tous les hommes sont mauvais, et qu’ils triomphent dans

leur perversité.


Les tablettes que tu m’as données, sont gravées dans mon esprit avec un

souvenir durable qui subsistera bien au delà du temps présent, de ce
rang insignifiant, et jusqu’à l’éternité : ou du moins aussi longtemps
que la nature laissera subsister mon esprit et mon cœur, jusqu’à ce
qu’ils abandonnent au triste oubli leur part de toi, ton souvenir ne
pourra jamais s’effacer. Ces pauvres tablettes n’en sauraient contenir
autant, et je n’ai pas besoin de porter en compte ton précieux amour ;
aussi ai-je eu l’audace de les donner à d’autres, pour me confier à des
tablettes plus capables de le recevoir : garder un objet destiné à me
faire souvenir de toi, ce serait faire entendre que je pourrais

t’oublier.


Sonnets
CXXIII
Non ! Tu ne pourras te vanter, oh ! temps, de ce que je change : les

pyramides construites avec un art nouveau, n’ont pour moi rien de
nouveau, ni de singulier : elles ne sont qu’une autre forme d’un ancien
spectacle. Le temps est court pour nous, aussi nous admirons ce que tu
nous présentes d’ancien ; et nous préférons croire que cela est né
suivant notre fantaisie plutôt que de croire que nous l’avons déjà
entendu raconter. Je te porte un défi à toi dans tes annales ; le présent
ni passé n’ont rien qui me surprennent ; car tes récits mentent comme ce
que nous voyons nous-mêmes : ta constante précipitation grandit ou
diminue les objets ; voici ce dont je fais vœu, et ce qui durera à

jamais, c’est que je serai fidèle, en dépit de ta faux et de toi.

{{Titre|Sonnets|William Shakespeare|