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ÉTUDE

d’apaiser les dieux par un sacrifice humain ne prête pas pour nous, aux discours de Ménélas, la force qu’elle pouvait leur donner chez les Grecs, attachés à leur croyance ; ce n’est pas la farouche chasteté d’Hippolyte qui nous intéresse à son sort ; et la vertu même, pour obtenir de nous le culte affectueux qu’elle a droit d’en attendre, a besoin de s’attacher à des devoirs que nos mœurs nous aient appris à respecter et à chérir.

Soumis donc à la fois aux conditions des arts d’imitation et à celles des arts purement poétiques, tenu, comme l’épopée dans ses récits, de mettre la vie humaine en mouvement, appelé, comme la peinture et la sculpture, à la présenter en personne et sous des traits individuels, le poëte dramatique est obligé de renfermer, dans les vraisemblances d’une action, tous les moyens dont il a besoin pour la faire comprendre. Ses personnages ne peuvent nous dire que ce qu’ils diraient s’ils étaient là, réellement occupés du fait qu’ils nous représentent. Le poëte épique fait, pour ainsi dire, à ses lecteurs, les honneurs de l’édifice où il les introduit ; il les accompagne de ses propres discours, les aide de ses explications, et par la peinture des mœurs, des temps, des lieux, il les dispose à la scène dont il va les rendre témoins, et leur ouvre en tout sens le monde où il veut les transporter et se transporter avec eux. Le personnage dramatique arrive seul, occupé de lui-même ; c’est sans tenir compte du spectateur qu’il va se mettre en communication avec lui ; c’est sans l’appeler ni le guider qu’il doit s’en faire suivre. Ainsi séparés l’un de l’autre, comment parviendront-ils à se rapprocher si une profonde et générale analogie n’existe déjà entre eux ? Évidemment ces héros, qui ne font rien pour le public que sentir, et parler sous ses yeux, n’en seront compris et accueillis qu’autant qu’ils se rencontreront avec lui dans leur manière de concevoir, de sentir, de parler, et l’effet dramatique ne peut résulter que de leur aptitude à s’unir dans les mêmes impressions.