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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/192

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HAMLET.

que j’aimais beaucoup ; c’était le récit d’Énée à Didon, et surtout le passage où il parle du meurtre de Priam. Si cela vit encore en votre mémoire, commencez à ce vers, voyons un peu, voyons :

Le hérissé Pyrrhus, pareil à la bête hyrcanienne…

Ce n’est pas cela ; cela commence par Pyrrhus.

Le hérissé Pyrrhus, dont les armes de sable, noires comme son projet, ressemblaient à la nuit quand il était couché dans le sinistre cheval, porte maintenant ces redoutables et noires couleurs barbouillées d’un blason plus lugubre : de pied en cap, maintenant il est tout gueules, horriblement colorié du sang des pères, des mères, des filles, des fils, cuit et empâté par les rues brûlantes qui prêtent une tyrannique et damnée lueur au meurtre de leur seigneur et maître. Rôti dans son courroux et dans ces flammes, et ainsi bardé de caillots coagulés, avec des yeux semblables à des escarboucles, l’infernal Pyrrhus, cherche le vieil ancêtre Priam… »

    larmes, ce boucher, tandis que Priam tenait encore les mains levées, lui marcha sur la poitrine, et de son épée lui fit voler les mains… Aussitôt la reine frénétique sauta aux yeux de Pyrrhus, et, se suspendant par les ongles à ses paupières, prolongea un peu la vie de son époux ; mais à la fin les soldats la tirèrent par les talons et la balancèrent, haletante, dans le vide qui envoya un écho au roi blessé ; alors celui-ci souleva du sol ses membres alités et aurait voulu se colleter avec le fils d’Achille, oubliant à la fois son manque de forces et son manque de mains. Pyrrhus le dédaigne ; il balaye autour de lui, avec son épée, dont le choc a fait tomber le vieux roi, et depuis le nombril jusqu’à la gorge, d’un seul coup, il fend le vieux Priam. Au dernier soupir du mourant, la statue de Jupiter commença à baisser son front de marbre, comme en haine de Pyrrhus et de sa méchante action ; mais lui, insensible, il prit le drapeau de son père, le plongea dans le sang froid et glacé du vieux roi, et courut en triomphe vers les rues ; il ne put passer à cause des hommes tués ; alors, appuyé sur son épée, il se tint aussi immobile qu’une pierre, contemplant le feu dont brûlait la riche Ilion. » Mais, n’êtes-vous pas de l’avis de Didon qui s’écrie, dès que les mains de Priam sont coupées : « Oh arrêtez… Je n’en puis entendre davantage ? »