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ACTE II, SCÈNE II.

selon votre propre rang et votre dignité ; moindres seront leurs droits, plus méritoire sera votre bonté. Emmenez-les.

polonius. — Venez, messieurs.

hamlet. — Suivez-le, mes amis ; nous verrons une pièce demain. Écoute, mon vieil ami : pouvez-vous jouer le Meurtre de Gonzague ?

le premier comedien. — Oui, mon seigneur.

hamlet. — Eh bien ! nous donnerons cela demain au soir. Vous pourriez, au besoin, étudier un discours de quelques douze ou seize vers que je voudrais mettre par écrit et y insérer ? ne pourriez-vous pas ?

le premier comédien. — Oui, mon seigneur.

hamlet. — Très-bien. Suivez ce seigneur, et faites attention à ne pas vous moquer de lui. (Polonius et les comédiens sortent.)(À Rosencrantz et à Guildenstern.) Mes bons amis, je vous laisse jusqu’à ce soir ; vous êtes les bienvenus à Elseneur.

rosencrantz. — Mon bon seigneur !

(Rosencrantz et Guildenstern sortent.)

hamlet. — Or çà, Dieu soit avec vous ! — Maintenant je suis seul. Oh ! quel drôle et quel rustre inerte je suis ! N’est-ce pas chose monstrueuse que ce comédien que voici, dans une pure fiction, dans une passion rêvée, puisse, selon sa propre idée, contraindre son âme à ce point que, par le travail de son âme, son visage entier blêmisse. Et des pleurs dans ses yeux ! l’égarement dans sa physionomie ! une voix brisée ! et toute son action appropriant les formes à l’idée ! Et tout cela pour rien ! pour Hécube ! Qu’est-ce que lui est Hécube, ou qu’est-ce qu’il est à Hécube, lui, pour qu’il pleure pour elle ? Que ferait-il donc s’il avait, pour se passionner, le motif et le mot d’ordre que j’ai ? Il inonderait de larmes le théâtre, il déchirerait l’oreille de la multitude par de formidables paroles, il rendrait fou le coupable et épouvanterait l’innocent ; il confondrait l’ignorant et frapperait de stupeur, sur ma parole ! les facultés mêmes d’entendre et de voir. Et moi ! moi, cependant, plat coquin, courage de boue,