Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
HAMLET.

messieurs, aiguisez encore en lui ce goût et poussez plus avant ses projets vers de tels plaisirs.

rosencrantz. — Ainsi ferons-nous, mon seigneur.

(Rosencrantz et Guildenstern sortent.)

le roi. — Douce Gertrude, laissez-nous aussi ; car nous avons, sans nous découvrir, mandé Hamlet ici, afin qu’il y puisse, comme par hasard, se trouver en face d’Ophélia. Son père et moi, espions sans reproche, nous nous placerons de manière que, voyant sans être vus, nous puissions juger avec certitude de leur rencontre, et conclure d’après lui-même, selon qu’il se sera comporté, si c’est le renversement de son amour, ou non, qui le fait ainsi souffrir.

la reine. — Je vais vous obéir. Et quant à vous, Ophélia, je souhaite que vos rares beautés soient l’heureuse cause de l’égarement de Hamlet ; car je pourrai ainsi espérer que vos vertus, au grand honneur de tous deux, le remettront dans la bonne voie.

ophélia. — Madame, je souhaite que cela se puisse.

(La reine sort.)

polonius. — Ophélia, promenez-vous ici… Gracieux maître, s’il vous plaît, nous irons nous placer. (À Ophélia.) Lisez dans ce livre ; cette apparence d’une telle occupation pourra colorer votre solitude… Nous sommes souvent blâmables en ceci… la chose n’est que trop démontrée… avec le visage de la dévotion et une démarche pieuse, nous faisons le diable lui-même blanc et doux comme sucre, de la tête aux pieds.

le roi, (à part). — Oh ! cela est trop vrai ! De quelle cuisante lanière ce langage fouette ma conscience ! La joue de la prostituée, savamment plâtrée d’une fausse beauté, n’est pas plus laide sous la matière dont elle s’aide, que ne l’est mon action sous mes paroles peintes et repeintes ! Ô pesant fardeau !

polonius. — Je l’entends venir, retirons-nous, mon seigneur. (Le roi et Polonius sortent.) (Hamlet entre).

hamlet. — Être ou n’être pas, voilà la question… Qu’y a-t-il de plus noble pour l’âme ? supporter les coups de fronde et les flèches de la fortune outrageuse ? ou s’armer en guerre contre un océan de misères et, de haute lutte,