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ACTE III, SCÈNE II.

SCÈNE II

(Une salle dans le château.)
HAMLET entre avec quelques comédiens.

hamlet. — Dites ce discours, je vous prie, comme je l’ai prononcé devant vous, en le laissant légèrement courir sur la langue ; mais si vous le déclamez à pleine bouche, comme font beaucoup de nos acteurs, j’aurais tout aussi bien pour agréable que mes vers fussent dits par le crieur de la ville. N’allez pas non plus trop scier l’air en long et en large avec votre main, de cette façon ; mais usez de tout sobrement, car dans le torrent même et la tempête et, pour ainsi dire, le tourbillon de votre passion, vous devez prendre sur vous et garder une tempérance qui puisse lui donner une douceur coulante. Oh ! cela me choque dans l’âme d’entendre un robuste gaillard, grossi d’une perruque, déchiqueter une passion, la mettre en lambeaux, en vrais haillons, pour fendre les oreilles du parterre, qui, le plus souvent, n’est à la hauteur que d’une absurde pantomime muette, ou de beaucoup de bruit. Je voudrais qu’un tel gaillard fût fouetté, pour charger ainsi les Termagants [1] ; c’est se faire plus Hérode qu’Hérode lui-même. Je vous en prie, évitez cela.

premier comédien. — J’assure Votre Altesse…

hamlet. — Ne soyez pas non plus trop apprivoisé, mais que votre propre discernement soit votre guide ; réglez l’action sur les paroles, et les paroles sur l’action, avec une attention particulière à n’outre-passer jamais la convenance de la nature ; car toute chose ainsi outrée s’écarte de la donnée même du théâtre, dont le but, dès le premier jour comme aujourd’hui, a été et est encore de présenter, pour ainsi parler, un miroir à la nature ; de

  1. Termagant était, dit-on, dans les vieux poëmes romanesques, le nom donné au dieu des tempêtes chez les Sarrasins. De là son nom vint, dans les vieux mystères, partager avec le nom d’Hérode le privilége de désigner un tyran plein de violence et d’ostentatoire orgueil, personnage presque obligé de ce théâtre primitif, sorte de Matamore tragique et toujours pris au sérieux.