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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/247

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ACTE IV, SCÈNE V.

laërtes. — Je vous en prie, laissez-moi faire.

le peuple. — Oui, Oui !

(Ils se retirent hors de la porte.)

laërtes. — Je vous remercie,… gardez la porte… Ô toi, roi infâme, rends-moi mon père !

la reine. — Calmez-vous, brave Laërtes.

laërtes. — Une seule goutte de mon sang, si elle est calme, me proclame bâtard, crie à mon père : « cocu ! » et brûle, ici même, du nom de fille de joie, le front chaste et immaculé de ma loyale mère.

le roi. — Quelle est la cause, Laërtes, qui fait prendre à ta rébellion ces airs gigantesques ?… Laissez-le aller, Gertrude ; ne craignez pas pour notre personne ; il y a une magie divine qui entoure les rois d’une telle haie, que la trahison peut à peine regarder à la dérobée ce qu’elle voudrait et met en action peu de sa volonté !… Dis-moi, Laërtes, pourquoi tu es à ce point enflammé… Laissez-le aller, Gertrude… Parle, ô homme !

laërtes. — Où est mon père ?

le roi. — Mort.

la reine. — Mais non par la faute du roi.

le roi. — Laissez-le questionner à sa suffisance.

laërtes. — Et comment s’est-il fait qu’il soit mort ? Je ne veux pas qu’on jongle avec moi. Aux enfers la fidélité ! et les serments au plus noir des diables ! au fond de l’abîme la conscience et le salut ! Je brave la damnation. Je m’en tiens à ce point : mettre en oubli ce monde et l’autre, et advienne que pourra ! Seulement, j’aurai pleine vengeance pour mon père.

le roi. — Qui pourra vous arrêter ?

laërtes. — Ma volonté, non celle de l’univers entier ; et pour ce qui est de mes ressources, je les ménagerai si bien qu’avec peu elles iront loin.

le roi. — Brave Laërtes, si vous désirez connaître la vérité certaine sur la mort de votre cher père, avez-vous écrit dans votre projet de vengeance que, d’un seul coup de rafle, vous emporterez à la fois ses amis et ses ennemis, les coupables et les innocents ?

laërtes. — Non, ses ennemis seuls.