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ACTE V, SCÈNE II.

en attendant je reçois l’amitié que vous m’offrez comme une amitié vraie, et je ne lui ferai pas défaut.

hamlet. — J’embrasse volontiers cette assurance, et je vais disputer loyalement cette gageure fraternelle… Donnez-nous les fleurets. Allons.

laërtes. — Allons… Un pour moi.

hamlet. — Oui, Laërtes, un fleuret, et moi, je serai votre plastron [1] ; enchâssée en ma maladresse, votre habileté, comme une étoile dans la nuit la plus obscure, va ressortir avec tout son feu.

laërtes. — Vous me raillez, monsieur.

hamlet. — Non, j’en jure par ma main droite.

le roi. — Jeune Osrick, donnez-leur les fleurets. — Cousin Hamlet, vous connaissez la gageure ?

hamlet. — Très-bien, mon seigneur. Votre Grâce a placé le plus gros enjeu du côté le plus faible.

le roi. — Je ne crains rien : je vous ai vus tous deux à l’œuvre. Mais comme il a fait des progrès, nous avons pris un avantage.

laërtes. — Celui-ci est trop lourd ; voyons-en un autre.

hamlet. — Celui-ci me va ; sont-ils tous de longueur ?

(Ils se disposent à l’assaut.)

osrick. — Oui, mon bon seigneur.

le roi. — Mettez-moi les flacons de vin sur cette table. Si Hamlet porte la première ou la seconde botte, s’il riposte à la troisième, que toutes les batteries fassent feu : le roi boira à Hamlet, lui souhaitant de moins perdre haleine, et il jettera dans la coupe la perle de sa bague d’alliance [2], une perle plus riche que celles de la couronne

  1. Le mot du texte foil, signifie fleuret ou feuille de métal, monture d’une pierre précieuse, tout ce qui encadre ou fait ressortir, tout ce qui fait contraste ; d’où le jeu de mots de Hamlet et l’image qui suit.
  2. En souvenir de Cléopâtre, c’était une prodigalité à la mode, que de jeter une perle dans la coupe avant de porter une santé. « Voilà, » dit un personnage de comédie, « seize mille livres sterling qui s’en vont d’une seule gorgée, en place de sucre. Gresham boit cette perle à la reine sa maîtresse. » On prétendait aussi que les perles donnaient une saveur cordiale à la liqueur où elles se dissolvaient ; et c’est ce double prétexte que le roi saisit pour empoisonner la coupe destinée à Hamlet. Quelques mots ont été ajoutés ici au texte ; on en verra la raison page 280, note 1.