Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
SUR LA TEMPÊTE.

daient le style du rôle de Caliban, dans la Tempête, comme tout à fait particulier à ce personnage, et comme une création de Shakspeare. Johnson est d’un avis opposé ; mais, en admettant que la tradition soit fondée, l’autorité de Johnson ne suffirait pas pour infirmer celle de lord Falkland, esprit éminemment élégant et remarquable, à ce qu’il paraît, par une finesse de tact qui, du moins dans la critique, a souvent manqué au docteur. D’ailleurs lord Falkland, presque contemporain de Shakspeare puisqu’il était né plusieurs années avant sa mort, aurait droit d’en être cru de préférence sur des nuances de langage qui, cent cinquante ans plus tard, devaient se perdre pour Johnson sous une couleur générale de vétusté. Si donc l’on avait quelque titre pour décider entre eux, on serait plutôt tenté d’ajouter foi à l’opinion de lord Falkland, et même d’appliquer à l’ouvrage entier ce qu’il a dit du seul rôle de Caliban. Du moins peut-on remarquer que le style de la Tempête paraît, plus qu’aucun autre ouvrage de Shakspeare, s’éloigner de ce type général d’expression de la pensée qui se retrouve et se conserve plus ou moins partout, à travers la différence des idiomes. Il faut probablement attribuer en partie ce fait à la singularité de la situation et à la nécessité de mettre en harmonie tant de conditions, de sentiments, d’intérêts divers, enveloppés pour quelques heures dans un sort commun et dans une même atmosphère surnaturelle. Dans aucune de ses pièces, d’ailleurs, Shakspeare ne s’est montré aussi sobre de jeux de mots.

Il serait assez difficile de déterminer précisément à quel ordre de merveilleux appartient celui qu’il a employé dans la Tempête. Ariel est un véritable sylphe ; mais les esprits que lui soumet Prospero, fées, lutins, farfadets appartiennent aux superstitions populaires du Nord. Caliban tient à la fois du gnome et du démon ; son existence de brute n’est animée que par une malice infernale ; et le Ô ho ! ô ho ! par lequel il répond à Prospero lorsque celui-ci lui reproche d’avoir voulu déshonorer sa fille, était l’exclamation, probablement l’espèce de rire attribué en Angleterre au diable dans les anciens mystères où il jouait un rôle. Selebos, qu’invoque le monstre comme le dieu et peut-être le mari de sa mère, passait pour être le diable ou

    dans le parlement, contre Charles Ier, les libertés de son pays, il se rallia à la cause de ce prince lorsqu’elle devint celle de la justice ; et ministre de Charles Ier, il se fit tuer à la bataille de Newbury, de désespoir des malheurs qu’il prévoyait : il avait alors trente-trois ans.