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LA TEMPÊTE.

que je te vois, je sens s’adoucir l’affliction de mon esprit, qui, je le crains, a été accompagnée de démence. — Tout cela (si tout cela existe réellement) doit nous faire aspirer après d’étranges récits. Je te remets ton duché et te conjure de me pardonner mes injustices. Mais comment Prospero pourrait-il être vivant et se trouver ici ?

Prospero, à Gonzalo.

D’abord, généreux ami, permets que j’embrasse ta vieillesse, que tu as honorée au delà de toute mesure et de toute limite.

Gonzalo.

Je ne saurais jurer que cela soit ou ne soit pas réel.

Prospero.

Vous vous ressentez encore de quelques-unes des illusions que présente cette île ; elles ne vous permettent plus de croire même aux choses certaines. Soyez tous les bienvenus, mes amis. Mais vous (À part, à Antonio et Sébastien), digne paire de seigneurs, si j’en avais l’envie, je pourrais ici recueillir pour vous de Sa Majesté quelques regards irrités, et démasquer en vous deux traîtres. En ce moment je ne veux point faire de mauvais rapports.

Sébastien, à part.

Le démon parle par sa voix.

Prospero.

Non. — Pour toi, le plus pervers des hommes, que je ne pourrais, sans souiller ma bouche, nommer mon frère, je te pardonne tes plus noirs attentats ; je te les pardonne tous, mais je te redemande mon duché, qu’aujourd’hui, je le sais bien, tu es forcé de me rendre.

Alonzo.

Si tu es en effet Prospero, raconte-nous quels événements ont sauvé tes jours. Dis-nous comment tu nous rencontres ici, nous qui depuis trois heures à peine avons fait naufrage sur ces bords où j’ai perdu (quel trait aigu porte avec lui ce souvenir !) où j’ai perdu mon cher fils Ferdinand.

Prospero.

J’en suis affligé, seigneur.

Alonzo.

Irréparable est ma perte, et la patience me dit qu’il est au delà de son pouvoir de m’en guérir.

Prospero.

Je croirais plutôt que vous n’avez pas réclamé son assistance. Pour une perte semblable, sa douce faveur m’accorde ses tout-puissants secours, et je repose satisfait.