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ACTE V, SCÈNE I.

Alonzo.

Vous, une perte semblable ?

Prospero.

Aussi grande pour moi, aussi récente ; et pour supporter la perte d’un bien si cher, je n’ai autour de moi que des consolations bien plus faibles que celles que vous pouvez appeler à votre aide. J’ai perdu ma fille.

Alonzo.

Une fille ! vous ? Ô ciel ! que ne sont-ils tous deux vivants dans Naples ! que n’y sont-ils roi et reine ! Pour qu’ils y fussent, je demanderais à être enseveli dans la bourbe de ce lit fangeux où est étendu mon fils ! Quand avez-vous perdu votre fille ?

Prospero.

Dans cette dernière tempête. — Ma rencontre ici, je le vois, a frappé ces seigneurs d’un tel étonnement qu’ils dévorent leur raison, croient à peine que leurs yeux les servent fidèlement, et que leurs paroles soient les sons naturels de leur voix. Mais, par quelques secousses que vous ayez été jetés hors de vos sens, tenez pour certain que je suis ce Prospero, ce même duc que la violence arracha de Milan, et qu’une étrange destinée a fait débarquer ici pour être le souverain de cette île où vous avez trouvé le naufrage. — Mais n’allons pas plus loin pour le moment : c’est une chronique à faire jour par jour, non un récit qui puisse figurer à un déjeuner, ou convenir à cette première entrevue. Vous êtes le bienvenu, seigneur. Cette grotte est ma cour : là j’ai peu de suivants ; et de sujets au dehors, aucun. Je vous prie, jetez les yeux dans cet intérieur : puisque vous m’avez rendu mon duché, je veux m’acquitter envers vous par quelque chose d’aussi précieux ; du moins je veux vous faire voir une merveille dont vous serez aussi satisfait que je peux l’être de mon duché.

(La grotte s’ouvre, et l’on voit dans le fond Ferdinand et Miranda assis et jouant ensemble aux échecs.)
Miranda.

Mon doux seigneur, vous me trichez.

Ferdinand.

Non, mon très-cher amour ; je ne le voudrais pas pour le monde entier.

Miranda.

Oui, et quand même vous voudriez disputer pour une vingtaine de royaumes, je dirais que c’est de franc jeu.