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ÉTUDE

goût populaire y poussa quelquefois la représentation tragique à un degré d’atrocité inconnu en France, dans les plus grossiers essais de l’art ; et l’influence du clergé, en épurant la scène comique de l’excessive immoralité qu’elle étalait ailleurs, lui fit perdre aussi cette gaieté maligne et soutenue qui est l’essence de la vraie comédie. Les habitudes d’esprit qu’entretenaient dans le peuple les ballades et les ménestrels permettaient d’introduire, même dans les productions les plus consacrées à la joie, quelques teintes de ces émotions que la comédie, en France, n’admet guère sans perdre son nom pour prendre celui de drame. Parmi les œuvres vraiment nationales, la seule pièce entièrement comique que présente le théâtre anglais avant Shakspeare, l’Aiguille de ma commère Gurton, fut composée pour un collège et modelée selon les règles classiques. Les titres vagues donnés aux ouvrages dramatiques, comme play, interlude, history ou même ballad, n’indiquent presque jamais aucune distinction de ce genre. Aussi, entre ce qu’on appelait tragédie et ce qu’on nommait quelquefois comédie, la seule différence essentielle consistait-elle dans le dénoûment, d’après le principe posé au XVe siècle par le moine Lydgate qui veut que la comédie commence dans les plaintes et finisse par le contentement, tandis que la tragédie doit commencer par la prospérité et finir dans le malheur.

Ainsi, à l’arrivée de Shakspeare, la nature et la destinée de l’homme, matière de la poésie dramatique, ne s’étaient point divisées ni classées entre les mains de l’art. Quand l’art voulait les porter sur la scène, il les acceptait dans leur ensemble, avec les mélanges et les contrastes qui s’y rencontraient, et sans que le goût public fût tenté de s’en plaindre. Le comique, cette portion des réalités humaines, avait droit de prendre sa place partout où la vérité demandait ou souffrait sa présence ; et tel était le caractère de la civilisation que la tragédie, en admettant le comique, ne dérogeait point à