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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/82

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ÉTUDE

destin pour faire éclater, au milieu de ses succès, le châtiment de ses crimes. Macbeth, Othello, Coriolan, également actifs et aveugles dans la conduite de leur destinée, attirent de même sur eux, avec la force d’une volonté passionnée, l’événement qui doit les écraser. Brutus meurt de la mort de César ; nul, plus que lui-même n’a voulu le coup qui le tue ; nul ne s’y est déterminé par un choix plus libre de sa raison ; il n’a pas eu, comme Hamlet, une apparition qui lui vint dicter son devoir ; en lui seul il a retrouvé cette loi sévère à laquelle il a sacrifié son repos, ses affections, ses penchants ; nul homme n’est plus maître de lui-même, et comme tous, impuissant contre le sort, il meurt ; avec lui périt la liberté qu’il a voulu sauver ; l’espoir même de rendre sa mort utile ne luit point à ses yeux ; et cependant Shakspeare ne lui fait pas dire en mourant : « Ô vertu, tu n’es qu’un vain nom ! »

C’est qu’au-dessus de ce jeu terrible de l’homme contre la nécessité, plane son existence morale, indépendante, souveraine, exempte des hasards du combat. Le génie puissant dont le regard avait embrassé la destinée humaine n’en pouvait méconnaître le sublime secret ; un instinct sûr lui révélait cette explication dernière, sans laquelle il n’y a que ténèbres et incertitude. Aussi, muni du fil moral qui ne se rompt jamais dans ses mains, marche-t-il d’un pas ferme à travers les embarras des circonstances et les perplexités des sentiments divers ; rien de plus simple, au fond, que l’action de Shakspeare ; rien de moins compliqué que l’impression qu’on en reçoit. L’intérêt ne s’y partage point et s’y balance encore moins entre deux penchants opposés, deux affections puissantes. Dès que les personnages sont connus, dès que la situation est développée, on a fait son choix ; on sait ce qu’on désire, ce qu’on craint, qui l’on hait et qui l’on aime. Les devoirs ne se combattent pas plus que les intérêts ; la conscience ne flotte pas plus que les affections. Au milieu des révolutions