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ÉTUDE

l’empreinte que grave sur mon front le reproche vulgaire. Que m’importera qu’on me qualifie mal ou bien si vous recouvrez de fraîches couleurs ce que j’ai de mauvais, et reconnaissez ce que j’ai de bon [1] ? » Ailleurs il s’afflige de cette tache qui sépare deux vies unies par l’affection : « Je ne puis, dit-il, toujours t’avouer, de peur que la faute que je pleure ne te fasse rougir ; et tu ne peux m’honorer d’une faveur publique, dans la crainte de déshonorer ton nom [2]. » Puis il se plaint d’être, sinon calomnié, du moins mal jugé, et de ce que les fragilités de sa « folâtre jeunesse » sont épiées par des censeurs encore plus fragiles que lui [3]. On devine aisément quelle devait être la nature des faiblesses de Shakspeare ; plusieurs sonnets sur les infidélités, et même sur les vices de la maîtresse qu’il célèbre, indiquent assez que ses écarts n’avaient pas toujours pour objet des personnes capables de les honorer. Cependant, comment supposer que, dans l’état des mœurs au XVIe siècle, la sévérité publique déployât tant de rigueur contre de pareils égarements ? Pour expliquer l’humiliation du poëte, il faut supposer ou quelque scandale fort au delà de l’usage, ou simplement un déshonneur particulier attaché aux désordres et à l’état de comédien. Cette dernière hypothèse me paraît la plus probable. Aucun reproche grave ne peut, en aucun temps, avoir pesé sur un homme dont ses contemporains n’ont jamais parlé qu’avec une affection pleine d’estime, et que Ben-Johnson déclare « véritablement honnête », sans tirer de cette assertion l’occasion ni le droit de rapporter quelque trait honteux à sa mémoire, quelque tort connu que l’officieux rival n’eût pas manqué de constater en l’excusant.

Peut-être en se rapprochant des classes élevées, frappé du spectacle d’une élégance relative de sentiments et de mœurs qu’il ne soupçonnait pas encore, averti soudain

  1. Sonnet 112, ibid.
  2. Sonnet 36, ibid., p. 61.
  3. Sonnet 121, ibid. p. 678.