Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/228

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de la scène est fidèlement imité par le poëte ; et tout ce qui concerne la mort de Macbeth, les prédictions qui lui avaient été faites et la manière dont elles furent à la fois éludées et accomplies, est tiré presque mot pour mot de la chronique où nous voyons enfin comment « par l’illusion du diable il déshonora, par la plus terrible cruauté, un règne dont les commencements avaient été utiles à son peuple[1]. » Macbeth avait assassiné Duncan en 1040 ; il fut tué lui-même en 1057, après dix sept ans de règne.

Tel est l’ensemble de faits auquel Shakespeare s’est chargé de donner l’âme et la vie. Il se place simplement au milieu des événements et des personnages, et d’un souffle mettant en mouvement toutes ces choses inanimées, il nous fait assister au spectacle de leur existence. Loin de rien ajouter aux incidents que lui a fournis la relation à laquelle il emprunte son sujet, il en retranche beaucoup ; il élague surtout ce qui altérerait la simplicité de sa marche et embarrasserait l’action de ses personnages ; il supprime ce qui l’empêcherait de les pénétrer d’une seule vue et de les peindre en quelques traits. Macbeth, avec les crimes et les grandes qualités que lui attribue son histoire, serait un être trop compliqué ; il faudrait en lui trop d’ambition et trop de vertu à la fois pour que l’une de ses dispositions pût se soutenir quelque temps en présence de l’autre, et l’on aurait besoin de trop grandes machines pour faire pencher la balance de l’un ou l’autre côté. Le Macbeth de Shakespeare n’est brillant que par ses vertus guerrières, et surtout par sa valeur personnelle ; il n’a que les qualités et les défauts d’un barbare : brave, mais point étranger à la crainte du péril dès qu’il y croit, cruel et sensible par accès, perfide par inconstance, toujours prêt à céder à la tentation qui se présente, qu’elle soit de crime ou de vertu, il a bien, dans son ambition et dans ses forfaits, ce caractère d’irréflexion et de mobilité qui appartient à une civilisation presque sauvage ; ses passions sont impérieuses, mais aucune série de raisonnements et de projets ne les détermine et ne les gouverne ; c’est un arbre élevé, mais sans racines, que le moindre vent peut ébranler et dont la chute est un désastre. De là naît sa grandeur tragique ; elle est dans sa destinée

  1. Chroniques de Hollinshed, édit. in-fol. de 1586, t. I, p. 168 et suiv., et pour ce qui concerne le meurtre du roi Duffe, p. 150 et suiv. C’est probablement des faits fournis par Hector Boèce à cette chronique que Buchanan, en rapportant beaucoup plus sommairement l’histoire de Macbeth, a dit : Multa hic fabulose quidam nostrorum affingunt ; sed quia theatris aut milesiis fabulis sunt aptiora quam historiæ, ea omitto. (Rerum Scot. Hist. l. VII.)