Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
notre but est encore atteint. Mais silence ! quel est ce bruit ?
Entre la Reine.

— Qu’est-ce donc, ma douce reine ?

LA REINE.

— Un malheur marche sur les talons d’un autre, — tant ils se suivent de près : votre sœur est noyée, Laertes.

LAERTES.

Noyée ! Oh ! où donc ?

LA REINE.

Au bord du ruisseau croît un saule — qui mire ses feuilles grises dans la glace du courant. — Avec ce feuillage elle avait fait une fantasque guirlande, — de renoncules, d’orties, de marguerites et de ces longues fleurs pourpres, — que les bergers licencieux nomment d’un nom plus grossier (30), mais que nos froides vierges appellent doigts d’hommes morts. — Alors comme elle grimpait pour suspendre sa sauvage couronne — aux rameaux inclinés, une branche envieuse s’est cassée, — et tous ses trophées champêtres sont, comme elle, — tombés dans le ruisseau en pleurs. Ses vêtements se sont étalés — et l’ont soutenue un moment, nouvelle sirène, — pendant qu’elle chantait des bribes de vieilles chansons, — comme insensible à sa propre détresse, — ou comme une créature naturellement formée — pour cet élément. Mais cela n’a pu durer longtemps ; ses vêtements, alourdis par ce qu’ils avaient bu, — ont entraîné la pauvre malheureuse de son chant mélodieux — à une mort fangeuse.

LAERTES.

Hélas ! elle est donc noyée ?

LA REINE.

— Noyée, noyée.