Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/44

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guère de coutume de mettre à rançon leurs prisonniers, mais les sacrifiaient à la cruelle vengeance imprimée naturellement en leur âme. Que s’il y avait quelque bon roi ou prince qui, poussé des instincts les plus parfaits de nature, voulût s’adonner à la vertu et usât de courtoisie, bien que le peuple l’eût en admiration (comme la vertu se rend admirable aux vicieux même), si est-ce que l’envie de ses voisins était si grande, qu’on ne cessait jamais jusqu’à tant que le monde fût dépêché de cet homme ainsi débonnaire. Régnant donc en Danemark, Rorique, après qu’il eut apaisé les troubles du pays et chassé les Suèves et Slaves de ses terres, il départit les provinces de son royaume, y mettant des gouverneurs qui depuis (ainsi qu’il en est advenu en France) ont porté titre de ducs, marquis et comtes : il donna le gouvernement de Jutland à deux seigneurs vaillants hommes, nommés Horwendille et Fengon, enfants de Gerwendille, lequel avait été aussi gouverneur de cette province.

» Or, le plus grand honneur que pouvaient acquérir les hommes de sorte en ce temps-là, était en exerçant l’art d’écumeur et pirate sur mer, assaillant leurs voisins et ravageant les terres voisines, et tant plus accroissaient leur gloire et réputation, comme ils allaient voltiger par les provinces et isles lointaines, en quoi Horwendille se faisait dire le premier de son temps et le plus renommé de tous ceux qui écumaient alors la mer et havres du septentrion.

» La grande renommée de celui-ci émut le cœur du roi de Norwége, nommé Collère, lequel se fâchait que Horwendille le surmontât en faits d’armes et obscurcît la gloire qu’il avait déjà au fait de la marine, car c’était l’honneur plus que les richesses qui aiguillonnait ces Princes Barbares à s’accabler l’un l’autre, sans qu’ils se souciassent de mourir de la main de quelque vaillant homme.