Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/54

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quand, connaissant la perversité d’un tyran et ses desseins pleins de conseil de mort sur la race et image de son frère, vous n’avez su ou daigné trouver les moyens de sauver votre enfant, ou en Suède ou Norwége, ou plutôt l’exposer aux Anglais que le laisser la proie de votre infâme adultère ? — Ne vous offensez, je vous prie, Madame, si, transporté de douleur, je vous parle si rigoureusement et si je vous respecte moins que de mon devoir : car vous m’ayant oublié et mis à néant la mémoire du défunt roi mon père, ne faut s’ébahir si je sors des limites de toute reconnaissance. Voyez en quelles détresses je suis tombé, et à quel malheur m’a acheminé ma fortune et votre trop grande légèreté, que je sois contraint de faire le fou pour sauver ma vie, au lieu de m’adextrer aux armes, suivre les aventures et tâcher par tout moyen de me faire connaître pour le vrai enfant du vaillant et vertueux roi Horwendille. — Je veux que chacun me tienne pour privé de sens et connaissance, vu que je sais bien que celui qui n’a point fait conscience de tuer son propre frère, accoutumé aux meurtres, ne se souciera guère de s’acharner avec pareille cruauté sur le sang et les reliques qui sont sorties de son frère par lui massacré. Ainsi, il me vaut mieux feindre le fou que suivre ce que nature me donne : les clairs et saints rayons de laquelle je cache sous cet ombragement, tout ainsi que le Soleil ses flammes sous quelque grand nuage, durant les ardeurs de l’été. Le visage d’un insensé me sied pour y couvrir mes gaillardises, et les gestes d’un fou me sont propres, afin que sagement me conduisant, je conserve ma vie au pays danois et la mémoire du feu roi mon père, car les désirs de le venger sont tellement gravés en mon cœur que, si bientôt je ne meurs, j’espère d’en faire une