Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/55

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telle et si haute vengeance qu’il en sera à jamais parlé en ces terres. Toutefois, faut-il attendre le temps et les moyens et occasions, afin que, si je précipitais par trop les matières, je ne causasse ma ruine trop soudaine, et ne finisse plutôt que donner commencement aux effets que mon cœur desseigne. La force n’étant point de mon côté, c’est raison que les ruses, dissimulations et secrètes menées y donnent ordre. — Au reste, Madame, ne pleurez point pour l’égard de ma folie, plutôt gémissez sur la faute que vous avez commise, et vous tourmentez pour cette infamie qui a souillé l’ancienne renommée et gloire qui rendait illustre la reine Géruthe. Vous avisant sur tout, aussi cher que vous avez la vie, que le Roi ni autre ne soit en rien informé de ceci, et me laissez faire au reste, car j’espère de venir à bout de mon entreprise. »

» Quoique la Reine se sentît piquée de bien près et qu’Amleth la touchât vivement où plus elle se sentait intéressée, si est-ce qu’elle oublia tout le dédain qu’elle eût pu recevoir se voyant ainsi aigrement tancée et reprise, pour la grande joie qui la saisit, connaissant la gentillesse d’esprit de son fils, et ce qu’elle pouvait espérer d’une telle et si grande sagesse. D’un côté, elle n’osait lever les yeux pour le regarder, se souvenant de sa faute, et de l’autre elle eût volontiers embrassé son fils pour les sages admonitions qu’il avait faites, et lesquelles eurent telle efficace que sur l’heure elle éteignit les flammes de convoitise qui l’avaient rendue amie de Fengon, pour placer encore en son cœur le souvenir des vertus de son époux légitime, lequel elle regrettait en son cœur, voyant la vive image de sa vertu et sagesse en cet enfant, représentant le haut cœur de son père. Ainsi vaincue de cette honnête passion, et fondant tout en larmes, après avoir longtemps tenu les yeux fichés