Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sonnée aussi, que le roi présentera à son neveu. Ainsi, le stratagème est infaillible, l’ombre du père de Laertes sera satisfaite, sa mort sera vengée. Hamlet sera tué.

Mais cette conclusion suffit-elle ? Suffit-il que l’ombre du père de Laertes soit satisfaite ? Ne faut-il pas que l’ombre du vieil Hamlet le soit aussi ?

Suffit-il qu’Hamlet meure ? Non ! il faut que Claudius meure aussi. Et, puisqu’il faut que justice soit faite, puisque pas un criminel ne doit échapper, il ne suffit pas que Claudius meure ; il faut que la reine Gertrude, sa complice, meure aussi ! Il ne suffit pas que Gertrude meure, il faut que Laertes, instrument déloyal de Claudius, meure aussi ! La logique des représailles est inflexible.

L’assaut commence. Hamlet touche son adversaire à plusieurs reprises de son innocent fleuret. Toute fière de lui, Gertrude veut boire à sa santé, et, sans qu’on ait pu l’avertir, la reine avale tout d’un trait la coupe de poison que son mari a préparée pour son fils. Au moment où elle tombe, Laertes frappe enfin Hamlet de son fleuret démoucheté, mais, dans l’ardeur de la lutte, Hamlet a pu saisir l’arme de son adversaire et l’en frapper à son tour. Tandis que Laertes, blessé à mort, s’affaisse sur lui-même, Hamlet agonisant a encore assez de force pour se jeter sur Claudius et lui enfoncer au cœur l’épée empoisonnée de Laertes.

Ainsi, le père d’Hamlet et le père de Laertes sont enfin vengés ; et, pour que cette vengeance fût complète, il a fallu quatre cadavres. Le talion, cette sombre divinité à laquelle Oreste avait immolé jadis sa mère Clytemnestre, et que les générations passées n’apaisaient que par des sacrifices humains, le talion reparaît à la fin du drame anglais comme à la fin de la tragédie grecque, et réclame son hécatombe.

Tel est ce dénoûment implacable, nécessaire, sublime !