Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/93

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ans de méditations, Shakespeare jugea cette indication insuffisante. Ce monologue qu’il avait prêté à Hamlet, il le trouva trop court et il le développa dans le drame définitif.

« Et moi pourtant, stupide tas de boue, blême coquin, espèce de Jeannot rêveur, impuissant dans ma propre cause, je ne trouve rien à dire, non, rien ! en faveur d’un roi à qui l’on a pris sa couronne et sa vie sacrée dans un guet-apens infernal. Suis-je donc un lâche ? Qui veut m’appeler manant ? me fendre ma caboche ? m’arracher la barbe et me la souffler à la face, me tirer par le nez ? me jeter le démenti par la gorge jusqu’au fond de la poitrine ? Qui veut me faire cela ? Ah ! pour sûr, je garderais la chose. J’ai donc le foie d’une tourterelle, qu’il n’y a pas assez de fiel en moi pour rendre amère une injure ! Autrement, depuis longtemps déjà j’aurais engraissé tous les milans du ciel avec les entrailles de ce serf ! sanguinaire et obscène coquin ! sans remords ! traître immonde ! ignoble coquin ! Ô vengeance ! quel âne je suis ! Oui-dà, que c’est brave à moi, à moi le fils du cher assassiné, à moi que le ciel et l’enfer poussent à me venger, de me borner, comme une catin, à décharger mon cœur en paroles, et à laisser tomber les jurons, comme une fille des rues, comme un laveur de vaisselle ! »

Pour expliquer son idée, Shakespeare ne s’est pas contenté de ces développements nouveau, il a multiplié ailleurs les indications. Il a voulu que, dans l’œuvre définitive, le spectateur eût sans cesse présente à la pensée le caractère inactif d’Hamlet. Voilà pourquoi, à la fin de la scène de la plate-forme, Hamlet pousse ce cri que Wilhelm Meister rappelait tout à l’heure : « Le monde est détraqué. Ô malédiction ! que je sois jamais né pour le remettre en ordre ! » Voilà pourquoi il termine le fameux monologue : To be or not to be, par cette réflexion qu’Ophélia interrompt : « Les couleurs natives de