Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/92

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Shakespeare a voulu nous montrer une âme chargée d’une grande action et incapable de l’accomplir. Cette pensée, selon moi, domine toute la pièce. Un chêne est planté dans un vase qui ne devait porter que des fleurs charmantes : les racines s’étendent et le vase est brisé. »

Si j’avais été de la troupe de Mélina, et si j’avais eu le bonheur d’assister à la leçon de haute critique donnée par Wilhelm Meister à ses camarades, j’aurais demandé la permission de répondre à l’orateur, et tout en approuvant ses conclusions, j’eusse fait des réserves sur ses prémisses.

Oui, certes, Wilhelm Meister a raison de le dire, Shakespeare a voulu nous montrer dans Hamlet « une âme chargée d’une grande action et incapable de l’accomplir. » On ne peut plus douter que ce soit là l’intention du poëte dès que l’on compare son œuvre primitive à son œuvre définitive.

Dans le drame primitif, le caractère indécis d’Hamlet n’est accusé que par quelques lignes. Ce n’est que quand il a vu le comédien si vivement ému des malheurs imaginaires d’Hécube qu’Hamlet s’adresse à lui-même ces reproches : « Et moi pourtant, espèce d’âne et de Jeannot rêveur, moi dont le père a été assassiné par un misérable, je me tiens tranquille, et laisse passer cela ! Ah ! vraiment, je suis un lâche ! Qui veut me tirer par la barbe ou me rire au nez ? Qui veut me jeter le démenti par la gorge dans la poitrine ? Pour sûr, je le garderais : il faut que je n’aie pas de fiel, autrement j’aurais engraissé tous les milans du ciel avec les entrailles de ce serf, de ce damné coquin ! de ce traître, de cet obscène, de ce meurtrier coquin ! Oui, que c’est brave à moi, vraiment, de me borner comme un laveur de vaisselle, comme une fille des rues, a m’emporter en paroles ! »

C’est là l’unique passage où la pensée du poëte se fasse jour. Évidemment, quand il refît sa pièce, après quinze