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SCÈNE IV.
— mais tu en auras, et, si tardif qu’il soit, le temps — arrivera où je pourrai te faire du bien. — J’avais une chose à te dire… mais laissons-la. — Le soleil est dans le ciel, et le jour éclatant, — escorté de tous les plaisirs du monde, — est trop frivole et trop brillamment paré — pour ma salle d’audience… Si la cloche nocturne, — avec sa langue de fer et sa bouche de bronze, — sonnait une heure à l’oreille engourdie de la nuit, — si nous étions ici dans un cimetière, — et si tu étais possédé de mille ressentiments ; — si cette sombre humeur, la mélancolie, — t’avait desséché, épaissi, alourdi le sang, — (le sang qui, pour peu qu’il parcoure et chatouille les veines de l’homme, — lui imprime aux yeux un rire idiot — et lui contracte les joues sous une folle gaieté, — émotion odieuse à mes projets ;) — ou bien si tu pouvais me voir sans yeux, — m’entendre sans oreilles et me répliquer sans voix, employant la pensée seule, — sans le regard, sans l’ouïe, sans ce murmure funeste de la parole, — alors, en dépit du jour qui nous couve de sa vigilance, — je verserais dans ton sein mes pensées ; — mais je n’en ferai rien… Ah ! pourtant je t’aime fort ; — et, ma foi, je crois que tu m’aimes fort.
HUBERT.

— Si fort que, quelque chose que vous me disiez d’entreprendre, — quand ma mort serait au bout de l’exécution, — par le ciel, je la ferais !

LE ROI JEAN.

Eh ! ne sais-je pas que tu la ferais ? — Bon Hubert ! Hubert ! Hubert ! jette les yeux — sur ce jeune garçon : je te le dirai, mon ami, — c’est un vrai serpent sur mon chemin : — partout où se pose mon pied, il est là, — rampant devant moi. Me comprends-tu ? — Tu es son gardien.