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LE ROI JEAN.
la couche de l’éternelle nuit, — toi, horreur et effroi de la postérité, — et je baiserai tes os affreux, — et je mettrai mes prunelles dans tes creux orbites, — et je ferai des bagues à mes doigts de tes vers familiers, — et je me boucherai la gorge avec ta poussière fétide, — pour être, comme toi, une monstrueuse charogne. — Marche en grinçant sur moi, et je croirai que tu me souris, — et je te câlinerai comme ta femme. Bien-aimée du malheur, — oh ! viens à moi !
PHILIPPE.

Ô belle affliction, calmez-vous !

CONSTANCE.

— Non, non, je ne veux pas, tant que j’aurai un souffle pour crier. — Oh ! que ma langue n’est-elle dans la bouche du tonnerre ! — Alors, je ferais frémir le monde d’émotion, — et je réveillerais en sursaut ce cruel squelette — qui ne peut pas entendre une faible voix de femme — et qui dédaigne une invocation vulgaire.

PANDOLPHE.

— Madame, ce que vous proférez est folie, et non douleur.

CONSTANCE.

— Tu es impie de me calomnier ainsi. — Je ne suis pas folle ! Ces cheveux que j’arrache sont à moi ; — mon nom est Constance, et j’étais la femme de Geoffroy ; — Arthur est mon fils, et il est perdu. — Je ne suis pas folle… Plût au ciel que je le fusse ! — car alors il est probable que je m’oublierais moi-même ! — Oh ! si je pouvais l’être, quel chagrin j’oublierais ! — Prêche-moi une philosophie qui me rende folle, — et tu seras canonisé, cardinal ; — car, tant que je ne suis pas folle, tant que je suis sensible à la douleur, — ce qu’il y a en moi de raisonnable m’explique — comment je puis être délivrée de tant de maux, — et me conseille de me tuer ou